Chapitre 24

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Antoine le regardait se lever, Jeanne allait partir acheter trois paires d'après ski, Suzanne s'apprêtait à aller chercher sa voiture, Paul s'étira, et s'approcha du bar. Antoine sortit un rhum, et lui versa un verre, sans un mot. Paul sauta sur un tabouret.
Il venait de réaliser qu'eux, ils savaient où il habitait, mais que lui imaginait toujours Suzanne sur son banc, Antoine dans son bar et Jeanne dans son restaurant . Suzanne était partie, et il regarda Antoine "Suzanne a une voiture " , il l' avait dit comme il aurait dit Suzanne a un amant. Antoine sourit, "je ne l'ai jamais vue, on l'a découvrira demain ". Paul lui demanda où il habitait, il lui répondit aussitôt qu'il avait un appartement qu'il louait dans la même rue. Il avait besoin d'être à coté de son bar, et précisa que l'appartement était un studio qui lui suffisait pour dormir, et paresser le dimanche. Il lui expliqua que son unique but était de développer au maximum son bar pour ensuite en ouvrir un plus grand, ou un second. Antoine était franc, direct, ne cachait rien, du haut de ses vingt deux ans .Il voulait être totalement indépendant depuis qu'il était tout jeune, lui même n'avait pas d'explication, ses parents l'avait choyé, encouragé , il n'était pas en fuite, il avait juste choisi et assumé son chemin. Paul était admiratif, décontenancé, lui n'avait cherché qu'à faire plaisir, à ses parents, ses patrons, et n'avait finalement rien choisi. Antoine lui demanda ce qu'il rêvait d'être, avant, quand il était jeune, parce que pour Antoine , quarante ans c'était vieux. Encore un peu de rhum, et Paul commença à lui raconter son rêve depuis tout petit de reprendre le restaurant là haut, de vivre là haut, et de redescendre , comme sa grand-mère en basse saison, goûter à la ville, pour mieux la fuir à chaque fois. La sonnerie du téléphone coupa ses confidences, c'était Suzanne , ravie, qui annonçait que la voiture , selon le garagiste, était apte à faire deux cent kilomètres aller et retour. Antoine raccrocha, le sourire aux lèvres, "demain, tu remontes là haut". Paul n'osait y croire, aspiré par le lendemain. Il sauta du tabouret, lorsque Jeanne poussa la porte encombrée d'un sac d'où dépassaient des après skis , bleus et roses, des bonnets, des gants, ces yeux gris étincelaient, elle était la vie. avec Antoine, Ils étaient deux enfants, seuls, , qui venaient de se reconnaître. Antoine se jeta sur le sac ,et s'ensuivit une course poursuite au milieu des tables. Paul préféra les laisser, c'était leur moment , le début de leur histoire qui sautait aux yeux. Ils semblaient l'ignorer ou peut être avaient-ils envie de laisser durer ces minutes, ces heures, ces jours, hors du temps où l'on se découvre, où l'on comprend que l'on ne va pas échapper à cette rencontre , où l' on se frôle comme des enfants amoureux. Il leur donna rendez-vous pour le lendemain à huit heure trente, pour le départ à neuf heures.

Paul sortit, la rue était toujours là, le sapin aussi, Suzanne n'était pas sur son banc, un écriteau sur la vitre du bar d'Antoine annonçait une fermeture exceptionnelle de quatre jours, il était en congés imprévus pour une semaine, Paul eut besoin de regarder son reflet dans une vitrine, pour vérifier son apparence. Sa vie était à mille lieux de celle qu'il avait si peu de temps avant. Il traversa la rue, passa la tête dans l'entrée de l'épicerie, et promit à Roland qu'il lui rapporterait un souvenir. Il sembla touché. Paul leva la main, on aurait pu croire qu'il partait trois mois aux Etats-Unis, il partait trois jours dans son village d'enfance perché dans les montagnes, à deux heures de route, mais c'était peut être le plus important des voyages qu'il avait fait. Le froid tombait, il se dirigea quand même vers le parc, direction le banc, ce banc qui l'avait accueilli le jour où tout avait basculé. Il s'assit, posa sa tête entre ses mains, son regard sur l'herbe. Pas d'eau ce soir, pas de fourmi, juste le silence de la nuit qui commençait déjà à tomber, les promeneurs étaient rentrés, il leva la tête, personne aux alentours, et se mit à sauter, courir, levant les bras, souriant aux arbres, au ciel rouge , au soleil qui s'était déjà fait la malle, à la lune qui prenait sa place, aux visages qui étaient toujours devant ses yeux, il avait peur, mais explosait de joie. Jean qu'il avait vu le matin même, son travail, son bureau, ses nuits tristes, ses vacances fades, ses rêves maudits étaient à des années lumières, jusqu'à quand, il l'ignorait.

Il reprit le chemin de son appartement, d'un pas sautillant, l'écharpe autour du coup ne l'avait pas quitté. En arrivant , il sonna à la loge de la concierge, qui ouvrit aussitôt. elle fit la même tête qu'Antoine lorsqu'il l'avait vu arriver le matin. Ses lèvres parfaitement maquillée, firent un O, et ses yeux tremblotèrent légèrement. Paul qui commençait à s'y habituer, lui demanda s'il pouvait lui laisser les clés de son appartement pour qu'elle nourrisse Monsieur Patate pendant ses trois jours d'absence. Ses lèvres s'étirèrent en un sourire qui était mangé par l'étonnement, la stupéfaction. Paul ne lui avait jamais rien demandé en quinze ans, il n'avait pas été désagréable mais totalement indifférent à elle. Elle articula un oui reconnaissant, et lui proposa de monter avec lui pour récupérer les clés, et rencontrer Monsieur Patate. Ils prirent donc les escaliers ensemble, finalement aussi étonnés l'un que l'autre. Elle l'a fit entrer , elle prit confiance, et se mit à visiter comme un appartement témoin. C'était un peu ce à quoi il ressemblait. Paul le trouvait en désordre, la faute au crèmes brûlées, aux nuits blanches, au livre posé sur la table de chevet. Il lui présenta Monsieur Patate qui s'était caché sous la couette, et lui donna le double d ses clés rangées dans l'entrée. La concierge dont il ignorait le nom le remercia, comme s'il lui avait fait une faveur , et Paul se sentit gêné. D'habitude, il aurait trouvé normal de ne pas la connaître, de lui demander un service, mais dans son nouveau monde, non. Il lui tendit sa main, et lui dit "je m'appelle Paul", elle le savait déjà, elle les connaissait tous, mais elle lui répondit , je suis Laure. Laure, il se dit bêtement que ce n'était pas un prénom de concierge. Elle repartit, ravie. Paul en refermant la porte se demandait comment elle était devenue concierge, à quoi elle occupait ses journées. Elle devait avoir soixante cinq ans, il ne voyait jamais personne lui rendre visite, ou peut être n'avait il juste jamais fait attention.

Il sortit son sac de voyage, en cuir tanné, encore une relique du passé. Il y enfourna toutes les affaires qu'il avait acheté quelques jours avant, rajouta des pulls , et mis le livre bleu dans une poche extérieure, il devait le ramener là bas avec lui. Il n'avait pas faim , mais se fit rapidement une omelette, après avoir ouvert grandes ses fenêtres pour sentir le froid qui tombait dehors. La nuit allait être longue. Il mangeait, écoutant la rue, sentant le froid qui l'enveloppait, et se délectant à l'idée du lendemain.

Les Fleurs poussent aussi sous le bétonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant