Chapitre 26

67 3 12
                                    

Ils avaient bu le rhum, Paul flottait, ils étaient à une heure trente du village, au pied des montagnes. Ils rentrèrent dans le restaurant pour boire un café, Paul planait,  l'odeur du bois, les poutres, le feu, tout le transportait là haut. Antoine lui versa du rhum dans le café, ses yeux noirs semblaient inquiets. Sa tête tournait, il se leva et se posta à côté de Suzanne: "Comment m'as tu retrouvé, pourquoi m'as tu suivi?". Suzanne lui répondit qu'elle ne l'avait pas retrouvé, que lui l'avait vue, qu'elle ne l'avait pas suivi. Il ne la croyait pas, il ne croyait pas au hasard, il était certain qu'elle lui mentait, mais se contenta de finir le café noyé dans le rhum. 

Ils reprirent la route, plus ils s'approchaient plus Paul collait son nez à la vitre, se fermait, se recroquevillait sur son siège. Marguerite peinait dans les côtes, fumait régulièrement, demandait de l'huile. Paul se dit qu'ils allaient bientôt redescendre la côte en arrière, et retourner à leurs vies. Mais Marguerite s'accrochait, encouragée par Antoine et Jeanne, heureux à l'arrière, elle mourrait à l'arrivée s'il le fallait, mais elle arriverait au village. Peut importe la suite, peut importe comme ils reviendraient. Marguerite faisait de plus en plus au bruit dans les lacets de la dernière montée, il était seize heures. Ils devaient mettre deux heures, ils avaient mis huit heures. Il reconnaissait les lacets de la route, les virages , les paravalanches , les vieilles fermes , les granges à flanc de montagne , une  station service, un bar perdu sur la route, les premiers panneaux annonçant la petite station de ski, ceux ventant les activités, d'hiver, d'été. Il diminuait dans son siège, formait maintenant une boule tournée vers la fenêtre, il n'entendait plus la musique, les paroles, les chants , les mains de Suzanne serraient de plus en plus le volant. Il restait trois kilomètres à parcourir. Le volant se mit à trembler, de la fumée sortait du capot. Ils stoppèrent sur le côté, peu de voitures montaient, la saison n'était pas commencée. Antoine plongea à nouveau sous le capot, et annonça qu'il fallait mettre de l'eau. Il n'en avait pas, ils avaient du vin, du rhum, des bières, mais pas d'eau. Paul apercevait un bâtiment, au loin, au dessus, il n'existait pas dans ses souvenirs. il n'allait rien reconnaître, et c'était mieux ainsi. Il serait revenu, et reparti aussitôt, fin de l'histoire. Il prit une bouteille de vin, et la passa à Antoine qui écarquilla ses yeux, explosa d'un rire enfantin, et versa le vin. Marguerite, contre toute attente redémarra. Il était seize heures vingt cinq, Paul se remit en boule sur son siège. Il voyait flou, Marguerite toussait, tressautait, mais continua à avancer, elle montait péniblement l'avant dernier lacet. Paul apercevait au loin le panneau annonçant l'entrée du village, la neige bordait la route à présent, plus de musique, plus de rires, plus un mot dans la voiture. Il se releva et demanda à Suzanne de s'arrêter. "Je vais y aller à pied, seul".

Suzanne se gara, et Paul descendit, sans un mot. il fixait le panneau, et commença à marcher. il marchait sur la route, puis posa un pied dans la neige, sur le bas côté, l'absorbation de son pied, le bruit atténué de son pas, le firent s'arrêter. Il se baissa, prit de la neige dans sa main, et la porta à sa bouche. C'était toujours la première chose qu'il faisait quand il arrivait. Les visages défilaient, sa tête tournait lorsqu'il se releva, il savait qu'ils le regardaient , il ne se retourna pas. L'eau se mit à couler, ce n'était que de l'eau. Le panneau était maintenant à deux cent mètres, comment n'était-il jamais revenu, comment s'était il privé  de ses pierres, de cette roche, de l'endroit qu'il préférait au monde. A présent, il respirait mieux, se redressa, accéléra le pas. Il entendit Marguerite redémarrer doucement au loin. Il y était, le panneau n'avait pas changé, il était rouillé, et jurait avec l'hôtel qu'il apercevait un peu plus loin. Le restaurant avait sûrement disparu. il connaissait le chemin, un léger virage à gauche, puis un second à droite  après le panneau , et normalement , il devrait arriver au départ de la rue principale en montée. Le restaurant était tout au bout, devant les premières pistes. C'était un village construit pendant la seconde guerre mondiale, par une famille richissime qui était venue se cacher là.  Ils avaient construit trois chalets. L'un était devenu un hôtel, typique, chaleureux, respectueux de la terre qui les avaient accueillis.  C'était un endroit hors du temps, à flanc de montagne, qui surplombait la vallée. Paul l'aperçut à l'entrée, il était toujours là. Il serra son écharpe, et avança doucement. il était exactement comme dans ces souvenirs. Un employé, nettoyait la terrasse. Il avança encore, transporté dans le temps, et aperçut l' épicerie, elle avait été repeinte, mais le bâtiment était identique. Il entendit Marguerite qui toussait au loin, puis plus rien. Ils avaient du s'arrêter à l'entrée. Il ne se retourna pas, il savait qu'ils le laisseraient avancer, seul. L'épicerie était ouverte . Il s'ébroua. Il fit quelques pas, et aperçut le tout petit bureau de poste, et ce qui devait être un office du tourisme. Il continua, et l'école apparut, toute en pierre, dont les classes donnaient sur la rue, la cour recouverte de neige. Il avait toujours  envié les enfants qui y allaient chaque jour, alors que lui pleurait à chaque départ. Des élèves jouaient, en attendant leurs parents. Leurs cris le ramenait à la vie, il ne rêvait pas, il était bien là, hypnotisé. Il resta un long moment à les observer. S'il s'était retourné, il aurait vu Suzanne, Antoine et Jeanne descendre de la voiture, et le suivre au loin. Mais il ne se retourna pas, il reprit sa route, de plus en plus doucement, vit défiler les maison en pierre, les chalets en bois, les nouvelles constructions, des magasins de souvenirs, la petite école de ski, le bureau des guides. la rue tournait légèrement au bout, et le restaurant était juste derrière. Lorsqu'il existait, on ne le voyait que lorsque on arrivait au bout de la rue. Aucun panneau n'indiquait un restaurant, il allait trouver un bâtiment neuf, ou un terrain vague, il s'arrêta pour imaginer son absence. Il était à dix mètres du bout de la rue, il continua le plus doucement possible, l'eau coulait, ils n'étaient plus là, le restaurant avait été rasé. Quelques pas de plus, il était au bout de la rue, c'est là qu'elle virait légèrement à gauche , la pente était raide, il fit un pas, deux , trois, quatre, baissa les yeux, se dit qu'il fallait qu'il affronte ce vide qui effacerait définitivement les souvenirs, les images,les visages, les piques dans son estomac. Fin de l'histoire,un pas en regardant le bitume, et il releva son regard.

Les Fleurs poussent aussi sous le bétonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant