Chapitre 10

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Huit heure, il finissait de noter toutes les améliorations à apporter à la crème.
Il lâcha la casserole, laissa tout en plan, fila se changer.

Il venait de souvenir qu'il devait reprendre sa place.

Il descendit l'escalier, fonça dans la concierge qui rougit, embrassa le palmier, rit, et passa la porte.

Il marchait joyeusement, le balancier du cartable s'était remis en route automatiquement.

La vue de la porte d'entrée le fit ralentir, il inspira fort, déterminé à garder le goût de la crème , à ne pas le lâcher .

Le hall lui parut plus petit, l'hôtesse d'accueil plus maquillée, la moquette du couloir plus grise.

Jean était assis à son bureau, il bougea sa tête vers le haut, ce qui signifiait, bonjour, on va boire un café.

Il répondit en penchant légèrement sa tête vers le bas.

Il souriait , ou plutôt étirait ses lèvres sans le réaliser, comme il avait vu faire Balthazar lorsqu'il sortait du lycée.

Le goût de la crème s'attardait sur sa langue, la casserole dansait devant ses yeux, la tête de Jean juste au dessus.

Jean ne percevait aucune émotion, encore moins le balancier des bras, ou l'infime mouvement de la bouche de Paul.

Il prirent le café, Jean parlait , la crème et les tapas volaient entre eux deux, juste devant ses yeux, il les suivaient du regard.

Jean croyait qu'il était fasciné par ses paroles, il se redressait comme un paon, gonflait son petit torse, soulevait ses talons, et ne s'arrêtait plus de parler.

Paul planait, shooté aux œufs et aux laits, il n'avait plus le son de Jean.

Il le vit poser sa tasse, et retomba brutalement, il devait reprendre son poste.

Une chape de plomb s'abattit sur lui, il traînait les pieds derrière Jean.

Il avait été transporté, en laissant les images, les visages s'approcher , il devait reprendre sa vie.

Jean,lui, était vivant devant lui, il devait le suivre.

Il allait finir, au mieux, comme lui, ou il allait rapetisser , se rabougrir, minuscule derrière ce petit homme insignifiant.

Il prit connaissance des dossiers à traiter, et se mit à rêver.

Il travaillait, mais son cerveau lui envoyait des visages, des odeurs, des goûts, qu'il laissait à présent venir

Il se sentait de plus en plus seul dans ce bureau.

Il passa en revue le premier cas à résoudre, un divorce , beaucoup de placements, plus d'amour.

Midi arrivait, et le supplice du déjeuner lui semblait insurmontable.

Depuis onze heure, il cherchait une excuse.

Il fonça dans le bureau de Jean, lui annoncer que sa grand-mère était morte. Il devait partir pendant la pause voir sa famille.

Rien ne choqua Jean dans cette annonce, il ignorait tout de lui.

Les yeux de Paul se plissaient, riaient, ses lèvres souriaient, il partit en soulevant ses talons, personne n'avait encore vécu un deuil aussi gai.

Il ne pleuvait pas, il aperçut Suzanne sur son banc.

Il eut la sensation qu'elle l'observait.

Elle portait un de ces fameux gilets,
celui ci bleu, un ruban dans les cheveux assorti.

Les Fleurs poussent aussi sous le bétonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant