Chapitre 3

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Après avoir passé une nuit concentré sur Balthazar, il se mit à faire des recherches, et stupéfait, il découvrit qu'il était marié à une jeune actrice, et était le chanteur d'un groupe en pleine ascension.

Paul ne l'avait absolument pas reconnu.
Comment Balthazar avait-il réussi ce tour de force? Il avait donc attendu des années son tour, les prenant tous, éleves et professeurs pour de sombres ignorants.

Personne n'avait rien compris.
Seul Paul avait deviné sa force intérieure, ou tout au moins, l'esquisse d'un sourire qui était son signe.

Balthazar avait tout encaissé, il leur avait laissé croire qu'ils avaient raison, qu'il ne serait personne, il n'avait jamais répondu à aucune provocation, aucune remontrance, pour continuer sa route.

Ils ne l'avaient même pas méprisé, juste ignoré, oublié, laissé de côté, et il avait pris un autre chemin, tracé tout seul.

Sa force avait été à la hauteur de leur mépris.

Paul éclata de rire, en pensant à la tête des autres élèves, de ses professeurs lorsqu'il le découvriraient comme lui.

Il lut toutes ses interviews , il parlait de ses parents, de la musique, nulle trace de souffrance ou de rancœur.

Paul devait repartir, six heures de route l'attendait.

Il n'avait rien vu du village, il avait juste retrouvé Balthazar, ce n 'était pas un ami, il ne lui avait jamais adressé la parole, il avait juste passé son week-end avec lui.

Le réceptionniste eut l'air ravi de sa bonne mine, rassuré.

Paul paya et reprit la route.
De retour chez lui, il croisa le palmier, passa devant en souriant, et monta les marches jusqu'à son appartement.
Patate l'accueillait toujours en se frottant à ses jambes.

Il ne faillit pas, mais pour la première fois , depuis quinze ans, Paul l'attrapa, le pritdans ses bras .

Quinze ans que Patate attendait, depuis le jour où il avait vendu la maison de ses parents, et l'avait recueilli.

Paul et Patate étaient d'excellente humeur, l'un ronronnant contre l'autre, ils grignotèrent ensemble, et s'assoupirent ensemble l'un collé à l' autre .

Le livre était posé sur la table de nuit, fermé.

Patate resta collé à lui toute la nuit, savourant ce moment .

Paul n'avait pas rêvé, pas de réveil en sursaut, aucun visage n'était venu envahir ce doux sommeil comme si le souvenir de Balthazar avait effacé les autres.

Mais ce matin, il devait enfiler son costume, oublier Balthazar, ces deux jours hors du temps, sa parfaite morte vie devait reprendre.

Il enfila son costume gris clair, prit un café, embrassa Patate, et claqua la porte.

Il descendait l'escalier quand il croisa la concierge.

Elle le regarda et lui sourit, il la salua, doucement, se souvenant tout à coup , qu'elle l'avait vu vendredi, détalant, poursuivi par ses souvenirs.

Elle soupira, et lui souhaita bonne journée.
Elle avait l'âge de sa mère, il ne l'a connaissait pas, Il ne s'était jamais intéressé à elle.

C'était le mois de novembre, les fourmis coulaient sous le poids de l'eau, il fallait courir sous la pluie, c'était un mois triste.

Seules les premières décorations de Noël tentaient d'égayer la rue.
Un sapin par-ci, une guirlande lumineuse par-là, une vitrine à moitié décorée, cela faisait quinze ans que Paul redoutait ce moment.

Ce matin, le vingt novembre, c'était le printemps, il voyait des marguerites poussées dans la nuit sur le béton , sentait une douce odeur d'herbe coupée, et tout naturellement, le balancier se remit en marche, un mouvement plus discret, assorti à un tout petit étirement de ses lèvres.

Paul partait toujours vers huit heures, et s'arrêtait toujours dans le même petit café, de la même rue, à la même heure, à la même table.

Ce matin le soleil faisait une apparition dans sa tête, et il s'assit à l'une des deux tables en terrasse, le serveur arriva décontenancé par ce changement.

Il regardait la rue, sa rue, son univers.

Sur la place devant l immeuble où il travaillait, il remarqua, assise, sur un banc, une dame aux cheveux blonds, veste orange tricotée main , un ruban assorti dans les cheveux , qui lançait du pain aux oiseaux , et semblait parler avec eux.

Il la remarqua, parce qu'elle allait parfaitement avec les marguerites de son trajet.

Il fila vers l 'immeuble dans lequel il passait ses journées, une pluie fine tombait, il poussa la porte , les marguerites disparurent, les visages se mirent à tournoyer devant lui, détestable farandole, il les envoya balader, comme une nuée de mouches , et posa ses pieds sur la moquette.

Jean était déjà arrivé, il passa le saluer, posa soigneusement son cartable , consulta ses mails, et fila boire le café avec son supérieur.

Il l'attendait, lui demanda si son week-end s'était bien passé, sans en demander plus.

Ils parlèrent de quelques clients, Jean était satisfait de lui même et moqueur des autres.

Pour lui être agréable, Paul évoqua un client qui était dans une position délicate, ce qui rendit Jean d'excellente humeur.

Jean repartit dans son bureau, il estimait avoir assez parlé avec son employé, il ne bougerai plus de sa chaise, excepté pour aller aux toilettes, et partir déjeuner à midi .

Il espérerai toute la matinée ne pas être dérangé, ne pas avoir avoir à prendre de décision,juste gérer les travaux de sa résidence secondaire, regarder Constance, son adjointe, le dévorer des yeux, lui sourire et ne pas bouger, attendre.

Paul s'assit à son bureau, se mit au travail sans réfléchir, éliminant toute pensée parasite.

Il sortit à midi pile pour aller déjeuner avec Jean, qui lui même commençait à se lever à onze heures cinquante sept pour être à midi devant le bureau de Paul.

Chaque midi, Constance espérait qu'il l'invite, chaque midi, il lui souhaitait bon appétit.

Jean était petit, trichait sur sa taille, mais plaisait à Constance qui le vénérait.

Elle aurait fait le premier pas, il n'aurait sûrement pas dit non.

Paul le suivait dans le couloir, l' écoutant, et ne pouvait s'empêcher de poser des marguerites, des pâquerettes sur leur chemin.

Quand elle le vit passer, la dame au gilet orange , et ruban assorti sourit.

Il arrivèrent à la brasserie, comme vendredi, les meubles rustiques n'avaient pas bougé , le vaisselier sublimait la pièce , les nappes fleurissaient toujours la salle, la vaisselle à l'ancienne parsemée de fleurs délicates.

Paul s'assit à leur table, Jean fit semblant de réfléchir devant le menu, pour comme toujours choisir la formule la moins chère, avec une carafe.

Paul lorgnait sur les chipirons, et osa les commander, devant Jean stupéfait de cette audace.

Paul lui-même se demandait encore pourquoi il avait fait cette commande.

D'où lui venait ce geste de rébellion, après quinze ans de formules à dix euros.

Peut-être les fleurs des nappes, qui lui rappelaient les pâquerettes ,qui lui rappelaient les fourmis qui escaladaient des brins d'herbe.

Les Fleurs poussent aussi sous le bétonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant