Chapitre 8

116 7 10
                                    

Il était huit heures, la pluie avait cessé, un soleil glacial brillait.
Paul aperçut Antoine, debout sur la terrasse qui discutait avec une cliente.

Il la reconnut, c'était la dame aux cheveux gris qui passait don temps sur les bancs de la place.

Elle arborait ce matin un pull rose et rubans assortis dans ses cheveux.

Ils semblaient se connaître. Ils regardaient, fascinés, le sapin qui allait être installé au milieu du boulevard.

Il s'approcha, salua Antoine et la dame aux rubans.

Il alla s'installer à l'intérieur, soudainement timide devant eux.

Antoine rentra, et le salua à nouveau, lui demanda comment il allait, ce à quoi Paul n'avait pas de réponse.

Devant son silence, Antoine partit lui préparer un café, qu'il accompagna de croissants.

Il lui déposa, en lui plantant ses yeux noirs souriants, dans ses yeux vides.

Paul était ému, ému du café déposé devant lui, d' Antoine qu'il avait toujours ignoré.

Il venait de lui offrir joyeusement la plus délicate attention depuis si longtemps.

Ce n'était qu'un café , ce n'était que de l'eau, ce n'était qu'un sapin, des rubans qui volaient, mais c'était si doux, si bon , les yeux d'Antoine l'enveloppaient, pure bienveillance qui vous transperce, et explose l'armure.

Antoine repartit sur la terrasse, et Paul happé par une tornade , se leva , prit le plateau et sans un mot s'installa à côté d'eux .

La dame aux rubans sourit, Antoine la regardait, Paul soupira.

Il la regarda et se présenta , elle lui donna son prénom Suzanne, sa voix était gaie, douce et apaisante.

Assis côte à côte, ils regardaient le sapin qui prenait place, imposant, majestueux, vierge de toute décoration.

Ils restèrent à regarder l'installation, sans dire mot, unis par la contemplation.

Paul était en apesanteur, il ne les connaissait pas, mais se sentait en sécurité, entre eux deux.

Comme hier soir, il sortait de sa vie, de son dévouement à Jean, de son quotidien, de sa torpeur.

Ce n'aurait pas été le mois de novembre, Paul se serait attendu à voir pousser des fleurs autour du sapin .

Il n'avait aucune envie de bouger, l'heure tournait, il allait être en retard, mais il restait.

Le sapin est posé, prêt à être décoré, ils souriaient tous les trois.

Antoine reprit son service, Paul se leva sans un mot, leur sourit, et partit en balançant son cartable.
Il sautillait presque, heureux comme un petit garçon.

Il arriva ainsi jusqu'à son bureau, en retard.

Jean l attendait, prétextant une réunion à préparer, il l'invita au café.

Il recommença son monologue sur le licenciement en cours, ne mentionna à aucun moment son retard, ni son absence au déjeuner de la veille.

Paul lui dit qu'il avait pris le petit déjeuner au bar un peu plus loin, Jean ne répondit pas.

Son indifférence était à la hauteur de la joie enfantine de Paul, elle le transperçait.

Il s'intéressa alors à ce qu'il lui disait, sourit à nouveau à ses paroles, pour qu'il soit aimable avec lui.

Paul avait besoin de ses sourires, espérant encore une reconnaissance.

Il repartit à son bureau, aligna ses stylos, et se mit à travailler en attendant le déjeuner du midi.

Il espérait juste que Jean l'invite à déjeuner.

Il l'invita à midi, il souriait, il avait retrouvé son jouet.
Paul le suivait, la tête baissée, le ruban bleu dépassait de sa poche.

Le rituel du monologue, l'écoute de Paul, tout était parfait pour Jean.

Ils finirent le déjeuner , Jean divisa l'addition, il ne l'avait jamais invité.

Paul régla sa part, attendit Jean, et le suivit pour reprendre sa place.

Il se mit sagement à travailler, Constance passa dans le couloir, décomposée sous une pile de dossiers.

Elle coulait, il la voyait se noyer tout doucement.
Elle semblait s'éteindre.

Elle était son reflet, lui aussi devait s'éteindre, il était épuisé de courir après Jean, son gentil dédain, sa méchante sympathie, ses faux sourires.

Il avait envie de repartir observer le sapin, de danser sous la pluie en regardant les fleurs pousser sous béton , de boire un café avec Antoine, de courir après les rubans de Suzanne , de balancer son cartable, de faire des pas de fourmis.

Il se leva à dix sept heures, prétexta un rendez-vous chez le médecin, et fila dans la rue.

Jean avait fait une moue en lui accordant ce départ anticipé, ses paroles jurait avec son visage, les mots avec son regard .

Paul était transpercé par ses non dits, par sa froideur, ses sourires mécaniques.

Il allait faire demi tour, le ruban bleu tombait de sa poche sur sa moquette, et il eut soudain envie de croiser le regard d'Antoine le serveur.

Il fila comme un voleur, volant vers un sourire.

Il pleuvait à présent, il n'accéléra pas pour autant, balançant son cartable , aperçut Suzanne qui partait s'abriter, se mit à courir dans les flaques d'eau.

Il la rattrapa, essoufflé, trempé, si beau dans son costume dégoulinant, ses yeux riaient.

Il prononça son prénom, Suzanne stoppa net, leva les yeux sur lui, et sourit.

Ce doux sourire effleura Paul, qui lui tendit comme un enfant le ruban qu'il avait conservé.

Son regard lumineux le tétanisait, il n'était plus du tout habitué, il ne comprenait plus cette sensation de douceur.

Les yeux de Suzanne se plissait, cherchant une lueur dans celui de Paul, elle trouva la panique.
Elle le remercia, et le laissa filer.

Il parti en direction du café, rentra trempé par la pluie fine, et s'assit à sa table .

Antoine discutait avec un client, il lui fit signe qu'il arrivait.

Paul attendit sagement.

Antoine arriva avec un grand sourire, lui demanda ce qu'il voulait, Paul commanda un chocolat chaud.

Quelques minutes plus tard , il réchauffait ses mains autour de la tasse brûlante, les yeux dans le vide.

Antoine s'approcha, jouant avec son plateau.

Paul lui demanda s'il avait bientôt fini, Antoine lui répondit qu'il organisait un Happy Hour, pour augmenter sa clientèle du soir. Il devait augmenter son chiffre d'affaires.

Paul fut interloqué d'apprendre qu'Antoine était le patron.

Antoine, devant sa mine déconfite, sourit, et lui expliqua que personne ne s'en doutait.

Il l'invita à rester, ce que Paul accepta avec joie.

Il partit chez lui se changer, traversa le hall joyeusement, félicita la concierge pour les nœuds rouges soigneusement accrochés à la porte de l ascenseur, se jeta sur Patate pour le câliner, enfila un jean, un pull , et claqua la porte.































Les Fleurs poussent aussi sous le bétonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant