Chapitre 27

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Ses yeux s'écarquillaient, son cœur s'emballait, il n'avait assez de ses yeux pour regarder, il s'avançait aspiré par la vue, il revivait, il respirait, le restaurant était posé là, identique à ses souvenirs. Il avait veilli, mais n' avait pas bougé, tous les volets étaient fermés, plus de panneaux , plus d' odeur, plus de vie. Paul tomba à genoux dans la neige. Pendant un millième de fraction de seconde, il s'était attendu à entendre leurs voix, à les voir sortir, mais les volets ne s'ouvriraient pas, ils n 'étaient plus là.
Paul restait à genoux, l'eau coulait de ses yeux, ce n'était pas que de l'eau, ses larmes l'innondaient. Ils ne reviendraient pas, il était seul.Il s'effritait, la fêlure se fracturait, il allait tomber en mille morceaux. Il allait fondre dans la neige.
Il ne savait plus comment il était arrivé là.

Trois silhouettes s'approchaient au bout de la rue, elles firent le même chemin que Paul, Suzanne en tête.
Leurs pas se rapprochaient, Suzanne frémit en voyant le restaurant, Antoine et Jeanne la suivaient, sérieux, fascinés par la vue.
Le bruit de leur pas réveilla Paul, le voyage, Marguerite, la voix de Jeanne, le rire d'Antoine, tout lui revint. Il reposa ses yeux sur le chalet, sans vie, et sentit leur présence, juste derrière lui.
Pas un seul mot, ils se recueillaient avec lui.

Antoine leva le nez, des flocons volaient, Jeanne suivait son regard.
Paul fixait le chalet, regardait les flocons danser, derrière ses larmes. Antoine osa un pas dans la neige, suivi de Jeanne, ils s'approchaient de la porte d'entrée. Elle était fermée, mais un vieux porte menu pendait à sa gauche. Paul qui était encore à terre se releva, sonné. Il les regardait s'avancer. La porte n'allait pas s'ouvrir, le menu du jour n'apparaitrait pas, mais il fit quelques pas désordonnés pour les rejoindre. Suzanne ne bougeait pas.

Antoine regardait le porte menu vide, Jeanne la porte, massive, Paul les volets fermés. Ils oserent briser le silence, par un chuchotement: "Il est complètement fermé" . Paul réussi à articuler, "Il a été vendu il y a vingt ans, ".
Il avait tout imaginé, sauf le retrouver, inchangé,fermé, inerte, vide de vie.

Ils firent demi tour.Jeanne avait froid, Suzanne proposa de rescendre à la voiture.
Paul les regarda, la chaleur revenait doucement dans son corps fêlé au son de leurs voix. Il sentait a nouveau ses pieds dans la neige, ses pas feutrés, le froid qui l 'enveloppait. Il les regarda, reconnaissant, sans eux il ne serait jamais revenu. Son regard avait suffit, ils avaient compris. Il remarqua qu'Antoine marchait collé à Jeanne. Il vit les larmes perlées dans les yeux de Suzanne. Il se rapprocha d'elle, elle passa son bras sous le sien. Ils formaient ainsi une chaîne dans la rue autour de lui. Paul ne reconnaissait personne. Suzanne ralentit au niveau de l'épicerie. Elle devia et s'approcha de l'entrée, elle passa sa tête et disparut en suivant.
Ils s'arrêtèrent. Une tête de l âge de Suzanne apparut, et cria, "Petit Paul, comment peux tu passer devant sans venir me voir". Il la reconnut aussitôt, Etiennette, qui fournissait le restaurant, et les conversations.

Son visage était tanné, ridé, sa voix inchangée. Petit Paul, quarante ans, un mètre quatre vingt, les yeux encore embues, s'approcha, obéissant. Elle le serrait contre son tablier, ses cheveux sentait l 'eau de Cologne. Paul s'y serait bien noyé. Elle le bombardait de questions, il répondit docilement. Elle lui fit visiter l'épicerie qui n'avait pourtant pas changé. Paul reconnaissait chaque rayon, revoyait Octavie dans chacun d'eux. Elle percut son trouble, et le reprit dans ses bras. Il était sur la lune, où dans un monde parallèle.
Pourtant, elle lui fit promettre de revenir le lendemain. Il promit, ne posa pas de question sur le restaurant, s'aggripa à son écharpe, et sortit, pantin déboussolé, automate déglingué.
Ils reformerent leur chaîne, passèrent les commerces. Paul fixait le bout de la rue, jetait des coups d'œil inquiets de peur de voir ressurgir d'autres fantômes.

Marguetite était garée à l entrée du village, tout près de l'hôtel. Elle était blanche de neige, sûrement incapable de redémarrer. Jeanne le regarda et lui dit "J' ai choisi cet hôtel, celui à l'entrée du village".
Paul frémit, il traînait souvent devant enfant, fasciné par ce décor, par le bruissement des voix sur la terrasse, l'élégance des clients. Il se sentit soulagé de trouver une chambre vide de toute âme. Il avait besoin d'ordre autour de lui tant ses pensées formait un noeud brouillon indémelable.

Ils arrivèrent devant la voiture, décidèrent de la déplacer, ou la pousser jusqu'au garage le lendemain.
La nuit était tombée, les flocons s'epaississaient. Antoine et Paul portaient les bagages, Jeanne dansait devant eux au travers des flocons, Antoine la regardait tendrement Suzanne les suivait, ses yeux pétillaient. Paul se calmait à l'idée de passer la soirée avec eux, dans ce cocon de coussins, de lourds rideaux, cachés du monde. La porte d'entrée lui rappela la porte faite du même bois qu'il avait fixé une heure auparavant. Jeanne posa sa main délicate sur la poignée, les flocons l'avaient suivie, elle poussa la porte et ils entrèrent tous les quatre.

Ils n'avaient pas dit un mot depuis la voiture. Paul aperçut la cheminée,
crépitante. Un homme habillé d'un pantalon de velours vert, d'une chemise à carreaux, verts et rouges , s'approchait d'eux. Il leur donna l'impression qu'il les attendait, il parlait d'une voix douce, posée.Il n'avait pas d'âge. Paul qui se sentait épuisé, se serait endormi juste en l'écoutant. Il leur appris qu'ils étaient les seuls clients et leur donna les quatre clés, immenses, en fer rouillé, des chambres. Ils prirent tous l'escalier tous l'escalier, le cliquetis des cles dans la main de Suzanne rhytmait la montée . Chaque chambre donnait sur un balcon face à un village plus bas et les montagnes en face. Ce soir, la vue était blanche. De lourds rideaux rouges encadraient la fenêtre, les housses d'oreiller étaient douces, ornées de carreaux beiges écossais, des photos anciennes du village sur les murs.

Paul tomba les bras en croix sur le lit, il venait d'atterrir dans son monde après l'avoir fui. Ils ne seraient plus jamais avec lui, les volets étaient fermés. Il entendait Antoine et Jeanne rire, dans la chambre à côté. L'eau s'était arrêté de couler,ses yeux se fermaient.
Il était épuisé, fracassé de bonheur et de douleur.

Dans son sommeil il entendit soudain des coups,quelqu'un qui l'appelait .
La voix s'intensifiait, il devait essayer d'ouvrir les yeux, il reconnut enfin Antoine qui descendait faire un billard avec Jeanne.
Il ouvrit les yeux ,fila sous la douche, étonné de marcher, tenir debout, encore ce soir. Il finit de s'habiller, et atterit sur le balcon.

Il écoutait les bruits étouffés, suivait les flocons au travers des étoiles. Il inspira si fort qu' il sentit sa poitrine se serrer. Ils n'étaient plus là mais il était vivant, il se sentait tellement vivant, à nouveau.En miettes mais vivant, il souffla fort, longtemps, comme pour se recomposer. Il se mit à penser à Jean si loin, si petit, insignifiant, à ses regards, ses silences pesants, puis le raya de ses pensées.
Il descendit l'escalier, et stoppa devant une photo, le chalet avec les volets ouverts.

Les Fleurs poussent aussi sous le bétonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant