Chapitre 15

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Le réveil de Paul sonnait, il était très loin de son appartement, en train de marcher dans la neige devant le chalet.

Il ouvrit les yeux, Mr Patate le fixait assis sur son torse.

Il devait se lever, s'habiller et repartir au travail.

Il revenait d'un long voyage, il avait fait le tour du monde, sans avoir bougé de son quartier.

Il se leva péniblement, tout son corps pliait sous le poids des images, des visages.

Son quotidien allait reprendre.

Les restes de crème traînaient dans la cuisine immaculée, un ruban déposé par Suzanne la veille posé juste à côté.

Ses pensées tourbillonnaient, tout se mélangeait, les sensations du passé, le salon de thé comme une délivrance.

Suzanne qui le pilotait sans qu'il ne sache pourquoi, Jean qui était jusque là le centre de sa vie, repère pervers.

La musique de Balthazar, ses amis qui le connaissaient moins que les vieilles dames du salon, et qu'Antoine.

Il mit la radio, France Gall chantait Résiste, prouves que tu existes.

Suzanne pilotait elle aussi sa radio?

Il devenait fou.

Pourquoi tout explosait maintenant?
Ils n'allaient pas revenir, ressusciter, à quoi lui serviraient toutes ses images, leurs visages, il n'étaient plus là, ils ne lui parleraient plus, ne l'écouteraient plus, ne le serreraient plus dans leur bras.

Ce monde n'est pas le tien, bats-toi , signe et persiste.

Bas toi contre quoi, persiste dans quoi.

Il parlait à la radio qui avait le visage de Suzanne ou de sa grand-mère.

Une douche s'imposait, il devait fuir et enfiler son costume de bon élève, d'employé modèle.

Qui était vraiment Suzanne, comment était elle apparue dans sa vie, il n'arrivait pas à lui poser la question, comment devinait elle ses pensée, ses émotions, pourquoi pensait-il à elle jusque sous sa douche.

Il fit tourner le robinet, et prit une douche glacée, qui lui rappela les matins au chalet.

Il n'arrivait pas à revenir dans le présent, et en venait à espérer que Jean s'en chargerait.

Il devait choisir une chemise, il prit la bleue ciel et fît tomber les autres de la pile.

Pour la première fois, il ne les ramassa pas.

Il partit, prit l'escalier, traversa le hall, sans un regard au palmier, et fuit dans la rue.

Il changea de trottoir pour éviter Antoine, son rhum, son bar, tourna avant les bancs de Suzanne, le tout en fixant le bitume du trottoir, pour être sûr de ne croiser aucun regard.

Il réussit à atteindre le hall de l'immeuble, il était parfait, remarqua le vieux sapin qui avait été ressorti et attendait les trois malheureuses décorations qui l'ornait chaque année.

Il ne vit que les tableaux gris accrochés au mur, pas de trace de fleurs, ni de neige.

Il retrouvait son monde, monotone, gris, mais bien réel.

Il pénétra dans son bureau, posa son cartable, jeta un coup d'œil à la pile de dossier et de courriers, tira la chaise, s'assit et se souvint qu'il n'avait pas salué Jean.

Il devait également ne pas oublier qu'il revenait de l'enterrement de sa grand-mère, et la chemise bleue jurait dans le tableau.

Il n'en avait pas d'autre.

Les Fleurs poussent aussi sous le bétonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant