Armand racontait le village, les mariages, les au revoir, les adieux, les naissances, les ruptures, le nouvel hôtel qui avait provoqué une révolte, et le Restaurant fermé.
Paul ne parlait pas, il écoutait, essayait de mettre des visages sur les noms, des dates sur ses souvenirs.
A dix ans il s'était juré d'habiter là un jour, quand il serait libre de décider. Il avait oublié sa promesse. Il avait sauté à pieds joints sur son rêve.Il ne pensait plus, ne rêvait plus, il était là, échoué, à quelques centaines de mètres de son nid.
Le Génépi aidant , il avait envie de se rouler dans un des lourds rideaux. La voix d'Armand le bercait, il était revenu. Il se replia dans le fauteuil, et s'endormit.
Il dormait comme dort un enfant épuisé, dans une fête, confiant , rassuré, sans peur du réveil.Suzanne se leva, attrapa l'énorme plaid recouvert de sapin rouges et de boules vertes tendu par Armand, et le déposa sur lui.
Ils ne dirent pas un mot sur Paul et continuèrent à chuchoter , les braises de la cheminée rougissaient, Armand leur avait donné des couvertures. Jeanne et Antoine en partageaient une, et avait redonné la seconde à Armand, sans lui laisser le choix. Il racontait sa vie ici, son arrivée à vingt ans, seul, la découverte du village. La succession des saisons, des mois isolés, de ceux où le village explosait de monde. Il n'était jamais reparti.
Jeanne le regardait avec ses yeux de vie, Suzanne se rappelait de lui il y a trente ans. Antoine se tourna vers Paul qui ne bougeait pas, appuya sa tête sur celle de Jeanne et s'endormit aussitôt . Jeanne bercée par la respiration d'Antoine le rejoint. Suzanne resta avec Armand , et finit par s'assoupir, emportée par sa voix. Armand remit du bois dans la cheminée, rajouta des plaids , aligna les quatre clés de chambre sur la table, et éteint les lumières, il était quatre heure du matin.A six heures, Paul sentit le plaid sur lui, replia ses jambes , et ouvrit les yeux. Quelques braises rougissaient encore, au travers des fenêtres le blanc se reflétait dans les rideaux dans un silence absolu. Jeanne et Antoine dormaient corps séparées, têtes l'une contre l'autre, Suzanne dans le fauteuil d'à côté. Il se leva, ne pensa à rien, fila vers la porte d'entrée.
La terrasse blanche dans le jour qui se levait, ses montagnes d'un côté, la vallée de l'autre, l'appelaient.
Avant hier, au bureau, puis en vacances, le conseil, la photo, le voyage en Marguerite, et ce matin ce réveil, il ne savait plus quelle heure il était, ni quel jour.Il s'étira, sans une pensée pour son autre monde. Le soleil commençait à rougir les montagnes blanches, il faisait très froid. Il resta, sans bouger, écoutant les premiers bruits de la station. Le Restaurant était à l'opposé, il le pouvait pas le voir, mais l'imaginait, volets fermés, inanimé. Il avait faim. Il revint doucement dans la salle à manger. Personne ne bougeait, il fila en cuisine, trouva le réfrigérateur , puis des œufs, du bacon, du fromage.
Il prenait une poêle quand Armand arriva, affolé. "Mais Monsieur Paul, je vais préparer les petits déjeuner. " Paul lui répondit qu'ils allaient les préparer tous les deux .
Armand ne luttait pas, habitué à accepter. Il mit du pain à griller, sortit une ribambelle de confitures maisons , des tasses multicolores, une théière fleurie, fit du café .
Il disposa le tout sur la même table ronde, sans un bruit.
Il était sept heures, le bacon , les œufs brouillés embaumaient, le fumet flottait jusqu'au salon , et réveilla Suzanne. Armand se précipita pour l'aider à plier le plaid, il se tenait à côté d'elle, ils regardaient Antoine et Jeanne qui dormaient comme des gens heureux.Suzanne s'approchait de la cuisine quand Paul déboula avec une montagne de bacon, jambon braisés, œufs à la coque, au plat, brouillés, et un regard qui dévorait les œufs, le bacon, les rideaux, la neige qui brillait derrière. Même ses cheveux semblaient danser avec lui, en apesanteur sur sa tête, s'accordant au rythme de ses pas. Il était le même que la veille, mais pas tout à fait. Ses gestes avaient un rythme différent. Les vêtements qui ne l'avaient pas quitté de la nuit, reprenaient forme sur lui, ce matin, emportés par le mouvement.
Antoine décolla sa tête de celle de Jeanne, ouvrit ses grands yeux foncés, toujours étonnés au réveil, peut-être ce matin un peu plus que les autres matins. Il glissait hors du fauteuil quand Jeanne ouvrait les siens, émerveillés comme chaque matin, d'être là , de les ouvrir, peut être ce matin un peu plus que les autres matins.
Paul posait tous les plateaux sur la table ronde qui débordait, Armand passa derrière lui pour tout disposer dans un ballet digne de l'hôtel. Il ne parlait plus, il avait repris son rôle. Paul se frottait les mains, Antoine remarqua lui aussi qu'il était différent. Tous le rejoignaient à la table , lorsqu'il leur dit avec un grand sourire: "Je vais récupérer la clé du chalet ce matin, je dois y rentrer". Suzanne avait l'air un peu inquiète, Antoine perplexe, Jeanne elle semblait danser de joie, assise. Antoine se rangea à la joie de Jeanne, Suzanne à la perplexité d'Antoine, et Armand contre tout attente, leur dit qu'il pourrait les accompagner. Ils savaient tous qu'ils devraient être là avec lui.
Ils s'installaient tous autour de la table, lorsque le téléphone de Paul se mit à vibrer. JEAN s'affichait en gros sur l'écran, comme une incongruité, sur cette nappe, à ce moment. Les mains de Paul ne réagissaient pas, tétanisées. Ils fixaient tous le téléphone, puis levèrent leurs yeux sur ceux de Paul. Un éclair de panique y passait , avalé lorsqu'il rejeta l'appel, mit son téléphone en silencieux, et le glissa dans la poche de son Jean, sans un mot.
Les cuillères, les fourchettes se remirent en marche, le café se remit à couler, le thé aussi, et Armand repartit discrètement à l'arrière pour téléphoner.
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Les Fleurs poussent aussi sous le béton
General FictionPaul s'était assis près de la cheminée. Il était au spectacle. Il revoyait le livre, les morts, Suzanne et ses gilets, Antoine et ses yeux à l'aguet, Jeanne qui balançait des claques de vie, le bar, le salon de thé, il mélangeait les tapas, la c...