Chapitre 2

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Paul ne sentait plus ses jambes, sa tête allait exploser. Il marchait tenant d'un doigt son cartable, le livre enfermé dans sa main gauche.

Il avait tenu le plus fort possible le mur qui le séparait d'eux, refoulé les voix, les lieux , les regards , il était vide, mais avait gagné.

Il sentait à nouveau le sol sous ses pas, essayait de se redresser, de reprendre une contenance, son rôle.
Il était obligé de passer devant son immeuble pour rejoindre son travail.
Il s'approcha.

Le hall était vide, les cartons partis, et la voleuse de livres aussi, plus de son, plus d'images, seul un papier posé, trônait sur le palmier ,plié en quatre, déposé sur une feuille.

Paul hésita, se balançant d'avant en arrière, la tête vide, le doigt lâcha le cartable, il fit un pas, attrapa la feuille, la fourra dans la poche de son costume, et détala.

La concierge de l'immeuble l'observait, intriguée, il avait l'air perdu.

Midi, trente appels en absence , une réunion oubliée, un responsable qui devait l'attendre, son corps vide, mais sa vie allait reprendre son cours, oublié l 'assaut du passé, il était invincible.

Son esprit effaçait consciencieusement sa matinée , ravi de reprendre la main, le gris de la rue réapparaissait, les devantures des magasins s'animaient, les voitures roulaient, klaxonnaient, polluaient.

Il rangea soigneusement le livre dans le cartable.

Il reprit son pas habituel, juste un peu plus lent, il se redressait, fier de lui, de sa résistance, il entra dans la brasserie cherchant du regard Jean, son supérieur.

Il était attablé seul, devant le plat du jour, sympathique et indifférent aux autres.

Paul tournait dans sa tête une excuse, une poussée de fièvre rapidement stoppée, espérant un regard bienveillant.

Les meubles en chêne, les tables coquettes, les nappes fleuries , les tableaux anciens le rassuraient comme chaque midi.
Il s'approcha de la table, Jean leva un œil et attendit.

Paul se confondit en excuses, et lorsque le serveur lui demanda s,il voulait déjeuner, le seul regard de Jean suffit à lui faire articuler un non.

Il se précipita vers la sortie, et reprit la direction du bureau.

Les tableaux du couloir étaient redevenus ternes et sans intérêt, la moquette atténuait le bruit de ses pas,
Il était à nouveau Paul, l'employé modèle.

Il s'assit à son bureau, contempla sa pile de dossier, lut ses mails, et s'attela à répondre à chacun d'eux.

Paul avait étudié le droit, et travaillait dans cette compagnie comme juriste depuis dix ans. Il tentait, chaque jour, de se passionner pour certains dossiers. Il n' était pas devenu avocat par manque d'ambition, de confiance, ou de passion.

Il était organisé, consciencieux , acceptait sa condition comme un cadeau.

Souvent, il ralentissait le flot de ses pensées, la rapidité de ses réponses pour être en totale adéquation avec son poste.

Son supérieur Jean était assorti à la moquette, aux tableaux.

Il était calme, posé, imperméable aux émotions, et souriant.

Il arrivait chaque jour à huit heures, rangeait son bureau, alignait ses stylos, les dossiers, puis se faisait un café.
Il attendait ensuite que les employés de son service arrivent, satisfait d'être là avant eux.

Il se contentait de valider les dossiers étudiés par les autres, de relever les erreurs, il soupirait alors, et un regard renvoyait Paul ou un autre dans son bureau, penaud.

Les Fleurs poussent aussi sous le bétonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant