Chapitre 33

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Cet homme tenait ma jambe. Il avait ma prothèse dans la main droite et s'approchait doucement pour ne pas m'effrayer voyant mon état de détresse.

Je le fixai, incapable de dire quoi que ce soit. Je voyais toutes ces paires d'yeux posés sur moi, à me scruter comme si j'étais un extraterrestre.

Je détestais cette situation, je commençai à redescendre et à entendre tout ce qui se passait autour de moi. C'est alors que je vis tous ces gens discuter entre eux, tout en me regardant.

Mon souffle ne parvint pas à retrouver un rythme correct et des larmes se mirent à ruisseler sur mes joues rouges.

— Ava, ma chérie, ça va ? s'affola Louis en jetant des regards assassins aux personnes qui me scrutaient.

Je ne répondis pas. Il prit ma prothèse et demanda aux gens de retourner à leurs occupations. Le serveur se retira à son tour vers l'arrière du restaurant.

— Vous pouvez retourner à vos repas, ce n'est pas un spectacle, réitéra-t-il d'une façon plus agressive, ne voyant aucune réaction de leur part.

J'étais toute sale, ma prothèse en l'air et je ne savais plus où me mettre.

Cette soirée était passée en quelques secondes d'un rêve à un cauchemar, c'était catastrophique.
Louis le savait, il l'avait bien vu. Son regard était glacial.

Après être retourné chercher mes béquilles, il se dirigea en trombe vers l'accueil.

Je soupirai d'exaspération, je sentais qu'il allait faire un scandale.

— Je veux voir immédiatement le directeur de ce restaurant ! exigea-t-il, hors de lui.

— Je vais voir s'il est disponible, mais je vais vous demander de vous calmer.

J'étais en train de me relever, avec l'aide de l'homme qui avait récupéré ma prothèse lorsque j'entendis la jeune femme postée à l'accueil demandant à Louis de se calmer.

Ma tête se redressa d'un coup d'un seul. Elle n'aurait jamais dû lui demander ça, ça allait l'énerver encore plus.

— Non, mais vous rigolez ? Un de vos collègues de merde a renversé un plateau sur ma conjointe alors qu'elle est handicapée !

— C'était un accident, vous allez voir ça avec le directeur, il descend. Il sera là dans quelques minutes.

— Très bien.

Il se tourna vers moi et me redemanda si j'allais bien. Je l'embrassai en guise de réponse.
En réalité, non, je n'allais pas bien. Je ne me sentais absolument pas à ma place. Ma vie avait totalement basculé à cause de cette histoire minable de jeu... Bon sang, ça faisait à peine quelques jours que j'étais sortie de l'hôpital, que j'essayais de reprendre une vie normale et voilà que cet événement arrivait, en public en plus...

Le directeur arriva, habillé d'un tablier blanc taché de sauce jaune, la même que celle que j'avais sur moi. Alors, comme ça, le directeur de ce grand restaurant était cuisinier ici. Je n'aurais pas pensé ça.

— Bonjour, excusez-nous pour cet incident, veuillez me suivre.

Louis ne répondit rien et le suivit tenant toujours ma prothèse dans la main droite. J'avançai avec mes béquilles, derrière eux.

Nous nous dirigeâmes vers une pièce retirée, ressemblant à une réserve ou bien une salle de repos.

— Nous vous offrons le repas, veuillez-nous excuser, madame, répéta-t-il, gêné de la situation.

Je hochai la tête comme pour acquiescer, mais en réalité, je n'écoutais pas grand-chose. Je souhaitais seulement que ce moment prenne fin et que l'on rentre.

— De toute manière je ne l'aurais pas payé, nous avons juste bu une gorgée de champagne ! continua Louis, en rigolant de cette phrase qui lui paraissait ridicule.

— Certes, néanmoins nous sommes dans un restaurant qui forme des stagiaires, il est donc normal et acceptable qu'il y est des incidents. On commence tous comme ça, non ?

— Écoutez, vous êtes bien aimable mais ce qu'il s'est passé, là, ne se reproduira plus puisque nous ne reviendrons pas chez vous et ne comptez pas sur nous pour donner une bonne image de vous ! C'est inadmissible, elle vient de sortir de l'hôpital, vous n'avez pas lu les journaux ?

Le Chef fut tout gêné et ne sut plus quoi répondre.
Il venait de comprendre qui j'étais : « La jeune femme kidnappée, frappée, violée, amputée et maintenant maman ! »

— Écoutez, merci de vous être excusé, nous allons y aller.

— Laissez-nous vous offrir le repas.

Louis me regarda, me demandant mon approbation. J'avais vraiment envie de rentrer, mais j'avais également terriblement faim. En y réfléchissant, je n'avais aucune envie de rentrer et de manger une boite de conserve sachant que nous avions refusé un dîner cinq étoiles sans frais.

— Très bien, c'est très gentil de votre part.

Louis était un peu étonné, mais sembla accepter.

Le Chef nous redirigea vers une salle plus petite et tranquille que la précédente, ce qui me rassura, car je n'aurais pas à faire face à toutes ces personnes qui m'avaient vu tomber tout à l'heure.

Un serveur s'activa sous les ordres stricts de son chef et nous prépara, ni une, ni deux, une superbe table.

Quelques instants plus tard, il nous apporta l'un des vins les plus chers.

— Bonjour, tout d'abord je tenais à m'excuser pour l'incident que je vous ai causé. Désirez-vous garder les menus choisis précédemment ou voulez-vous le changer ? questionna le jeune stagiaire, maladroit.

— Ce n'est rien, ça arrive...

J'adressai un regard interrogateur à Louis pour savoir ce qu'il voulait.

— Je veux bien garder le mien, et toi, ma chérie ?

— Pareil, alors nous gardons les mêmes menus.

— Parfait. Nous vous apportons l'entrée de suite.

Le serveur repartit presque aussitôt, en courant. Il semblerait que ce jeune homme n'avait pas retenu la leçon : à cette allure, il allait commettre la même erreur qu'avec moi et renverser quelqu'un en allant aussi vite avec tant d'objets dans les mains.

Il revint deux minutes plus tard avec nos toasts.
Cette odeur emplit mes narines et me chatouilla le nez. Ça avait l'air exquis.

Après cela, on trinqua à notre nouvelle vie.

AvaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant