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Le raclement des semelles sur le goudron se mêle au tumulte des ballons. Loni tape du pied lorsque son dribble part de travers pour la huitième fois d'affilé. Dans son classement des pires sports jamais inventés, le basket décroche largement la première place, juste devant le baseball. Loni se demande sérieusement comment il est censé mettre des paniers haut du double de sa taille. Déjà au collège, Martin Dulard se moquait de son mètre soixante-trois et ce nombre n'a malheureusement pas augmenté depuis. « Dommage Kancel, t'as la bonne teinte mais pas la bonne taille », le raillait-il en référence à sa peau noire, comme si toutes les personnes de couleur avaient dans leurs gènes les capacités de Michael Jordan. Pour preuve que non, la balle orange lui échappe encore. Loni s'apprête à envoyer valser cette saleté de ballon lorsqu'une voix masculine et décontractée le coupe dans son élan.

- Tu n'y arriveras jamais si la balle rebondit sur tes pieds. Dribble sur le côté, pas devant toi.

Loni lève la tête et tombe nez à nez avec monsieur Tee-shirt Dream On qui le scrute de ses grands yeux verts. Son cœur rate un battement, pourtant il ne laisse rien transparaître. En fuyant son regard qui le perturbe au possible, Loni rétorque d'un ton faussement méprisant :

- Super conseil, mais je vais m'en passer. Ce sport est merdique, de toute façon.

Il tente un panier mais son ballon, prévisible, rebondit contre l'anneau en fer et termine sa chute sur le côté. Aussitôt, Loni tourne le dos à son bel interlocuteur en frissonnant et se dirige à grands pas vers le professeur de sport, déjà occupé avec une autre élève.

- Encore, Lucie ? C'était la même excuse le mois dernier !

- C'est que... j'ai mes règles tous les mois, monsieur... marmonne la concernée.

- Oui, oui, ça va... je te dispense pour cette fois, cède-t-il avant de se tourner vers Loni. Et toi, ne me dis pas que tu as tes règles !

- C'est scientifiquement impossible, s'exaspère le jeune homme. Mais j'ai mal à la tête. Et mon genoux me fait encore souffrir. Et mon reflux...

- C'est bon, c'est bon... grommelle le professeur. Va t'asseoir.

Loni ne se fait pas prier et rejoint les gradins avec bien plus d'entrain que pour lancer un ballon. Il sort de la poche de son jogging son bloc-note et commence à griffonner quelques calculs, pour passer le temps. Le sifflet du professeur résonne, signe que les matchs vont commencer. La première équipe est annoncée, Loni n'écoute pas. La seconde, en revanche, lui fait brusquement lever le nez de ses exercices.

- ... contre l'équipe de Corey.

Le match débute. Loni ne le lâche pas des yeux. Monsieur l'athlète attrape le ballon, contourne sans effort ses adversaires et réalise un dunk du haut de son mètre quatre-vingts. Ses coéquipiers le félicitent, il sourit à leurs compliments. Loni capture ses belles dents blanche dans son bloc-note puis, vaincu par ses envies, s'attelle à dessiner tout son visage. Un bon prétexte pour le contempler sans que sa conscience ne lui souffle qu'il est en train de perdre son temps avec un type pareil.

Le cours de sport se poursuit, Loni tue son ennuie à le dessiner, encore et encore. Son chignon défait, ses yeux rieurs, ses traits anguleux et sa pomme d'Adam saillante... Loni enregistre tout en quelques coups de crayon. Cela lui arrive de croiser son regard le temps d'une seconde de distraction, alors il baisse la tête en catastrophe ou fait mine de regarder un oiseau passé dans le ciel gris. Ce petit jeu dont lui seul semble avoir conscience le fait rire intérieurement.

Quelques minutes avant la fin du cours, Loni remarque que son modèle se dirige vers le fond du terrain. Il s'arrête, comme s'il était en train de discuter avec quelqu'un. Loni se tord le cou pour tenter d'apercevoir son interlocuteur qui, connaissant la réputation de monsieur Joli-Minois, est très certainement une interlocutrice. Au moment où le jeune homme semble étreindre cette mystérieuse personne, Loni entrevoit des boucles brunes et un pull gris qu'il ne connaît que trop bien. Son esprit vif comprend au quart de tour.

La Symbiose Où les histoires vivent. Découvrez maintenant