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Trigger Warning en commentaire ➪
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Ses jambes tremblent encore lorsque Aimée sort du lycée. Elle prend de grandes inspirations pour calmer les vagues d'anxiété qui la submergent, comme sa psychiatre lui a appris, mais les paroles de son frère ne cessent de lui revenir en mémoire :

« Ton plan c'est de tomber enceinte à quinze ans comme maman, c'est ça ? »

Bravo, Loni ! tu es vraiment le dernier de tous les crétins ! peste-t-elle, la mâchoire crispée.

Bien sûr, Aimée sait que son frère n'avait pas l'intention de la blesser et que ces mots lui sont sortis de la bouche sous l'effet de la colère. Elle sait aussi que beaucoup de choses la blessent, qu'un rien peut la faire craquer à tout moment. C'est pour cette raison que Loni se montre si condescendant avec elle, sans oublier le fait qu'elle soit sa seule famille. Aimée le sait mieux que quiconque, Loni joue trois rôles en même temps : celui du grand frère et des deux parents. Voilà pourquoi elle ne lui en voudra pas aujourd'hui, et ne lui en voudra jamais réellement.

Sur le trottoir d'en face, le café-restaurant « Doux & Corsé » réalise probablement son meilleur chiffre d'affaire du mois, au vue de son intérieur bondé. Aimée se sent nostalgique de ces tables colorées, ces hauts tabourets et les nombreux desserts gourmands qu'elle dégustait ici, lorsqu'elle était encore au collège. C'était avant... avant de couler.

Aujourd'hui Aimée l'a atteint, le fond de l'océan. Elle a cessé de se débattre et s'est noyée dans la fatalité. On peut jouer la comédie un certain moment, mais à moins de se crever les yeux, on ne devient pas aveugle face à ses problèmes. Et même si c'était le cas, ils ne disparaîtraient jamais vraiment, guettant la moindre faille pour ressurgir et tout détruire une nouvelle fois.

Le regard las d'Aimée se promène à travers les larges fenêtres du café, pour finalement s'arrêter sur trois jeunes filles qui discutent et rient en sirotant leurs boissons. Autrefois, elle aussi buvait son milkshake à la fraise en leur compagnie. Aimée les croise encore dans les couloirs du lycée, mais n'a jamais osé leur adresser de nouveau la parole. Constance, Deepali et Mina...

Prise d'un élan de folie, Aimée pousse la porte du café et s'approche d'elles avec un sourire figé.

- Coucou, ça fait longtemps...

Les trois filles tournent vers elle des regards mi-étonnés, mi-ennuyés. Elles n'ont pas changé depuis la dernière fois : mêmes faux cils très longs, mêmes cheveux parfaitement lissés, mêmes jeans skinny et baskets de marques trop chères. Deepali décolle ses lèvres de sa paille, y laissant une belle trace de gloss.

- Aimée... lâche-t-elle en la sondant de haut en bas. C'est vrai que ça fait un bail qu'on ne t'avait pas vu. Ça va mieux, depuis le temps ?

Sa question teintée d'ironie ressemble davantage à un reproche qu'une simple formule de politesse. Aimée vacille sur ses deux pieds, regrettant déjà de les avoir abordées.

- Ça va et vous ? répond-elle machinalement.

- Comme tu peux le voir, on s'amuse, réplique Mina. Tu devrais essayer, toi aussi.

Aimée encaisse la remarque avec un tic nerveux.

- Je... je... je suis désolée pour toutes les fois où je vous ai laissées en plan. Je me suis calmée depuis, je vous assure. Je ne fais plus la tête. Je ressors. Je fais la fête. Je sais m'amuser, moi aussi.

- Ouais, avec ton beau mec de terminale...

Constance fusille Aimée du regard. Il ne s'agit pas d'être télépathe pour déceler la jalousie brûlante dans sa voix. Aimée se sent de plus en plus mal-à-l'aise. Elle porte une main fébrile à sa bouche et commence à se ronger les ongles.

La Symbiose Où les histoires vivent. Découvrez maintenant