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« Promets-moi de rester fort pour ta petite sœur. »

Les paroles se bousculent dans la mémoire de Loni. Était-ce les bons mots ? La bonne tournure de phrase ? L'a-t-elle dit de cette voix douce qu'il s'imagine ou bien avec plus de fermeté, ou de fatigue ? Le souvenir est si flou que cela l'irrite et l'attriste en même temps. Loni ne doit pas oublier. Les souvenirs, c'est tout ce qui lui reste d'elle.

Contre le bois de la porte, il fait résonner le signal. « Entre, Loni ». Il ouvre, la mine encore plus renfrognée que la dernière fois. Aimée lui tourne le dos, faisant scintiller la pince libellule qui retient ses cheveux, et range un carnet rouge dans un tiroir. Ses petits doigts parcourent un vase rempli de roses qui commencent lentement à faner. Soudain, elle tourne vers Loni un regard curieux et innocent. Le même regard qu'elle avait, petite, comme si elle venait tout juste de replonger en enfance.

- Tu veux quelque chose ? s'enquiert-elle d'une voix tout aussi candide.

- Hum, je... débute Loni, déstabilisé. Je dois te parler. Assis-toi.

Le cœur d'Aimée s'affole. Elle redoute plus que tout les « assis-toi » de son frère, car ils n'annoncent jamais rien de bon. « Assis-toi, maman a perdu son boulot » « Assis-toi, le juge nous a placés en famille d'accueil, on doit faire nos valises » « Assis-toi, maman est morte ». Bien sûr, il ne lui a pas annoncé d'une façon aussi brusque, Loni a beau manquer de tact, il possède tout de même de l'empathie pour sa petite sœur.

Aimée s'installe sur son lit, droite comme un piquet. Machinalement, elle attrape Pinpin et le serre très fort entre ses mains. C'est ce qu'elle a toujours fait face aux « assis-toi » de Loni.

- Je ne vais pas y aller par quatre chemins, balance-t-il comme une grenade. J'ai vu la photo que tu as envoyée à Corey.

Le visage d'Aimée se décompose d'un seul coup. Ses doigts étranglent le pauvre Pinpin tandis que ses ongles se plantent férocement dans sa chair laineuse. Dans une bouffée de honte, ses yeux commencent à se remplir de larmes.

- Comment t'as pu la voir ?! s'écrie-t-elle d'une voix brisée. Tu as fouillé dans son téléphone ?!

- On était en colle ensemble, ce soir. Son portable est tombé et j'ai vu.

Silence d'asphyxie. Aimée doit se faire violence pour retenir ses pleurs, au point de ne plus respirer.

Normal que ta mère ne t'ait jamais voulue, lui sifflent les voix dans sa tête, tu es tellement conne.

Tout à coup, elle éclate en sanglots. Loni quitte immédiatement la chaise sur laquelle il était assis pour s'installer aux côtés de sa sœur. Il enroule un bras protecteur autour de ses épaules, lui signifiant « je suis là et je ne laisserai personne te faire de mal ».

- Aimée, reprend-il d'une voix plus douce, pourquoi tu ne m'as pas parlé de ce chantage affectif ? J'aurais pu t'aider, régler le problème...

À ses mots, la cadette relève brusquement la tête, les yeux exorbités.

- Du... du chantage affectif ? Tu crois que Corey me fait chanter ? Que si je ne lui envoie pas de photos sexy, il me quitte ?

- Pour quelle autre raison, sinon ?

- Parce que j'en avais envie, voilà tout !

Loni reste interdit, les sourcils froncés d'incompréhension. Soudain, Aimée retire ses mains de celles de son frère et se relève. Derrière ses fines lunettes, ses yeux brûlent de résolution et de maturité. Elle n'a plus l'air d'une jeune fille, mais d'une femme déterminée et flamboyante. Le cœur de Loni en est secoué d'émotion.

La Symbiose Où les histoires vivent. Découvrez maintenant