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Il y repense tout le temps, sans arrêt. Chaque fois qu'il ferme les yeux, des flashs du festival lui reviennent en mémoire, comme les souvenirs d'une vie antérieure. Corey. Ses mains. Ses baisers. Sa peau... il le rend dingue. Loni a envie de se briser le front contre un mur pour le sortir de sa tête. Jamais il n'aurait pensé que cela l'atteindrait autant, que ces souvenirs heureux finirait par le hanter dans le présent. Et avec eux, il lui est devenu impossible de regarder Aimée en face.

Lorsqu'il rentre du lycée après avoir fui le regard de Corey toute la journée, Loni espère trouver un peu de calme dans le chaos de sa vie. Il passe les grilles du foyer, salue les éducateurs et les autres adolescents, puis n'a plus qu'une envie : se jeter dans son lit et s'avaler des romans entiers, pour tout oublier. Il ouvre la porte de sa chambre, soulagé d'être enfin seul. Il va pouvoir souffler un moment, rien qu'un instant.

C'est ce qu'il espérait, oui.

MENTEUR MENTEUR MENTEUR MENTEUR
TRAÎTRE TRAÎTRE TRAÎTRE TRAÎTRE
VOLEUR VOLEUR VOLEUR VOLEUR
JE TE HAIS JE TE HAIS JE TE HAIS
TU N'ES PLUS MON FRÈRE MON FRÈRE
PLUS JAMAIS PLUS JAMAIS PLUS JAMAIS


Partout. Par dizaine. Recouvrant son tableau noir de craie, tout autour d'une série de photos scotchée en plein milieu de ces mots tranchants. Ces mêmes photos qu'il avait prises au festival, avec Corey, celles qu'il croyait avoir jetées pour toujours.

Loni a joué à un jeu dangereux. Il pensait s'en sortir indemne, sans perdre trop de pièces, voire même remporter la victoire. Mais il ne s'est pas aperçu que, depuis le début, son roi a toujours été en échec...

— Dis-moi, Loni, qu'est-ce que ça fait de perdre ? Est-ce que tu as mal ? Est-ce que tu souffres, toi aussi ?

Loni reste pétrifié, les yeux écarquillés. Il tourne lentement la tête, lentement, avec l'espoir vain d'avoir imaginé sa voix, d'avoir tout imaginé. Mais Aimée est bien là, assise sur la chaise de son bureau. Son corps est crispé, comme bloqué, même son expression est étrangement figée. Elle continue de lui sourire bizarrement. Ses prunelles sont trouées d'un sombre éclat de vengeance.

La voix de Loni ressort comme un hoquet éreinté.

— Aimée... je... je suis...

Tais-toi, assène-t-elle. C'est moi qui parle.

Il se tait alors, se faisant tout petit. Son corps accablé de honte et de remords se laisse tomber sur le lit. Il est assis, avec le dos courbé d'un animal craintif. Elle est debout à présent, imposante comme un prédateur prêt à le dévorer.

— Tu t'es bien amusé, au moins ? poursuit-elle d'un ton ironiquement doux. C'était bien, d'embrasser Corey ? De coucher avec lui, aussi, j'imagine... Évidemment, que c'était bien. Je suis la mieux placée pour le savoir, après toi. Tout est super avec Corey. Tellement super qu'il fallait que tu me voles ce bonheur...

Ses doigts viennent tapoter sur le tableau noir, là où a été écrit avec tant de rage « TRAÎTRE MENTEUR VOLEUR ». Dans un son strident, ses ongles raclent la surface sombre, déchirent les mots comme des griffes déchirerait la chair. Aimée arrache la série de photos collée au milieu. Elle les observe pendant un moment qui semble durer une éternité pour Loni. L'expression de sa sœur est d'une froideur impitoyable. Soudain, Aimée retourne les photos dans sa direction.

— Ne détourne pas les yeux ! aboie-t-elle. Regarde. Regarde-les puis regarde-moi. Qu'est-ce que tu as à me dire, maintenant ? Parle !

La Symbiose Où les histoires vivent. Découvrez maintenant