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17 février 2018

Cher Léo,

En commençant ce journal intime, j'avais une idée claire en tête : retracer mon histoire, celle de mon enfance, et t'expliquer pourquoi, aujourd'hui, je suis cette Aimée si triste et perdue. Ça ne sera pas facile, mais je vais essayer de tout te raconter. J'en ai besoin, moi aussi...

(Ma main va sûrement trembler sur certains paragraphes, ou des mots baveront à cause de mes larmes, je te prie de m'excuser d'avance pour tous ces désagréments)

Tout a commencé avec une femme. De son vrai nom, elle s'appelait Marie-Hélène, dite M.H., Riri ou encore Elena par ses clients, mais pour mon frère et moi, c'était juste «maman ».

Son passé, ses parents, ses frères, sœurs, tantes, oncles et cousins si elle en avait, personne ne les a jamais connus. L'unique certitude, c'est qu'elle a coupé les ponts avec sa famille. Aux alentours de quinze ans, elle est follement tombée amoureuse d'un homme qui l'a abandonnée, lui laissant dans son petit ventre d'adolescente un bébé.

Elle avait tout juste seize ans lorsqu'elle a accouché de son premier enfant. Un garçon.

Le 11 janvier 2001 est né Loni, mon grand frère.

Maman était pauvre et mère très jeune. Dans un premier temps, elle a reçu une « aide » des services sociaux qui l'ont placée en famille d'accueil avec son bébé. Malheureusement, le couple censé l'hébergée la négligeait et s'accaparait Loni pour lui seul, empêchant maman de voir son propre enfant. Comment savoir s'il était bien nourri ? S'il n'avait pas froid la nuit ? Si les assistants familiaux n'étaient pas brusques avec lui ? Mon frère était tout pour maman, le lien qui l'unissait désespérément à son amour disparu et plus encore, il était devenu sa raison de vivre. Une nuit, elle s'est introduite dans sa chambre pour le prendre avec elle et s'est enfuie.

Il fallait trouver un travail, mais étant encore mineure, maman ne parvenait pas à décrocher un emploi. À cause de son ancienne famille d'accueil, elle fuyait les services sociaux comme la peste. Aucune profession ne voulait d'une gamine de seize ans dans les pattes, sauf une. Une qui ne requiert pas de diplôme. Une qui fait gagner l'argent nécessaire pour vivre. Une qui ne nécessite qu'une chose : abandonner sa dignité et son propre corps.

C'était devenu ça, son quotidien. Se vendre aux hommes le temps d'une nuit de dentelle et de latex.

Ça a fonctionné. Maman a pu payer la location et subvenir à ses besoins et à ceux de son enfant. Mais les problèmes ne faisaient que se terrer, attendant la faille pour ressurgirent, pires encore que les autres fois.

Elle venait d'avoir dix-sept ans lorsque la nouvelle est tombée. Une nouvelle grossesse, inattendue.

C'était, comme on dit, les risques du métier. Un client l'avait mise enceinte, ruinant en une nuit toute sa vie. Pourtant, maman n'a pas avorté, par foi ou parce qu'il était trop tard, sans doute. Elle ne pouvait plus travailler dans cet état et devait prévoir une autre bouche à nourrir quand viendrait l'accouchement. C'était le cauchemar, le plongeon droit vers l'Enfer, et tout ça, à cause de moi.

4 juillet 2002. Journée pluvieuse, blafarde, plus froide que les normales de saison. Le jour de ma naissance représente l'entièreté de ma vie : morne, triste... maudite.

Ma mère ne m'a jamais voulue. Je suis une erreur, un dérapage au travail. Je suis un handicap, un problème de plus, un fardeau. Je suis née sans qu'on m'y ait invité, personne n'était heureux de me voir respirer pour la première fois. Maman avait beau me dire que Loni était fou de joie en prenant la main de sa petite sœur, je sais qu'au fond, lui aussi avait compris. Même à un an et demi, on sait quand quelqu'un va foutre notre vie en l'air.

La Symbiose Où les histoires vivent. Découvrez maintenant