La Symbiose

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- Alors, où est-ce qu'on déjeune, aujourd'hui ? J'ai entendu dire qu'ils proposaient de très bonnes pizzas chez « Doux & Corsé ». Ça te tente ?

Main dans la main, Aimée et Corey sont en train de déambuler dans la cour du lycée. La jeune fille réprime un hoquet au nom « Doux & Corsé », le café-restaurant au beau milieu duquel elle s'est donnée en spectacle lors d'une énième crise d'angoisse. La simple idée de remettre les pieds dans ce lieu lui donne des vertiges. Elle serre la main de Corey un peu plus fort.

- Je n'ai plus d'argent, bredouille-t-elle comme prétexte.

- Ce n'est pas un problème, je t'invite, répond Corey dans un haussement d'épaules. J'ai assez pour deux.

- C'est adorable, mais... je reprends les cours dans une demi-heure, on n'aura pas assez de temps pour manger dehors. Pourquoi ne pas déjeuner à la cafétéria ?

Une mèche rebelle glisse sur le visage anguleux de Corey. Grimaçant, il souffle dessus en levant les yeux au ciel.

- Bon, très bien... cède-t-il finalement. C'est convivial, la cafétéria. Même si j'aurais préféré quelque chose de plus... intime.

Sa bouche s'est étirée de façon à articuler chaque syllabe du mot « IN-TI-ME ». Effet escompté : le visage d'Aimée s'embrase jusqu'à la racine de ses cheveux.

— C'est... c'est vrai que c'est mieux, de déjeuner juste tous les deux... balbutie-t-elle.

— « Déjeuner » ? Je pensais plutôt à... (Corey sourit malicieusement) ... enfin, oublie. C'est mignon tant d'innocence.

Sur sa joue, Corey dépose un baiser qu'il agrémente d'un clin d'œil espiègle. Aimée se demande si cette « innocence » est une qualité ou un défaut auquel elle devrait remédier. Les paroles de Constance lui reviennent en mémoire : et si Corey finissait bel et bien par s'ennuyer aux côtés d'une fille aussi « inexpérimentée au lit et avec les garçons » ? Plus qu'une fille, ne chercherait-il pas plutôt une femme ? Une vraie femme avec de belles formes et un fort caractère, qui sait comment s'y prendre avec les hommes pour leur faire plaisir, pour qu'ils ne se lassent jamais d'elle ? Une femme à son image, aussi irrésistible que lui, comme lui ?

Aimée est encore jeune. Aimée est encore sage. Elle n'est pas très grande, n'a ni puissante poitrine, ni large bassin. Elle croule sous les doutes, s'emprisonne dans le passé, s'oublie dans le présent, ne croit plus en l'avenir... Quelles qualités pourrait lui trouver Corey qui le retiendraient de la quitter, là, tout de suite, pour une autre ?

Sur le chemin, des regards s'accrochent à eux comme de vilaines tiques. Corey n'en est aucunement dérangé, ayant l'habitude d'être admiré sous toutes les coutures. Il doit aimer ça, pense Aimée en le voyant marcher avec tant d'assurance. Pour sa part, elle ne s'y habituera jamais. Aimée a l'horrible sensation que tous ces yeux l'épluchent jusqu'à ce qu'elle se retrouve complètement nue. Ses peurs, ses blessures, ses secrets les plus enfouis, ils les voient, les critiquent et les chuchotent à l'oreille de leur voisin. Parmi eux se trouvent certainement des anciennes petites-amies de Corey. Elles ne jalousent pas Aimée, au contraire, elles ont pitié, elles l'attendent dans le groupe des cœurs brisés.

Combien de temps lui reste-t-il avant de les rejoindre ?

La question lui brûle les lèvres au point qu'elle ne peut la contenir plus longtemps :

- Corey, est-ce que... est-ce que tu veux rompre avec moi ?

D'un coup, Corey s'arrête, puis se tourne lentement vers Aimée. Ses sourcils sont froncés d'incompré­hension et de mécontentement. Il ouvre la bouche, essayant de dissimuler le ton offensé de sa voix :