La Symbiose

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Après deux heures théoriques de physique-chimie pour clôturer en beauté une semaine intensive de cours, vendredi prend fin comme une libération. Enfin, cela ne concerne pas Loni Kancel et Corey Meyer pour qui le directeur a prévu un voyage initiatique au cœur du système d'évacuation sanitaire du lycée Saint-Exupéry.

- Afin de vous procurer le matériel nécessaire à votre grande excursion, demandez aux agents d'entretien du lycée. Ne vous en faites pas, ils ont gardé bien au chaud pour vous tous les cabinets du bâtiment B, souligne M. Rey dans un sourire aussi sadique qu'épuisé. Amusez-vous bien, les enfants !

Si les yeux de Corey et Loni avaient été des revolvers, David Rey serait étendu dans une marre de sang depuis longtemps. Malheureusement, ce fourbe de directeur demeure en parfaite santé, si l'on omet sa mine de cadavre due au manque de sommeil.

Une fois munis de serpillières, chiffons et produits ménagers en tous genres, les deux collés s'attaquent aux premiers cabinets du bâtiment B, sachant qu'il y en aurait deux autres à nettoyer par la suite. À peine entré, Loni fond sur la feuille qu'ils ont collée par dessus les insultes de Martin Dulard, l'arrache et s'empresse de nettoyer le mur avant que Corey n'ait le temps de lire quoi que se soit. Il pousse un soupir de soulagement en ôtant la dernière ligne. Corey l'observe tristement, ce à quoi Loni répond par un regard qui signifierait « tais-toi, je ne veux pas de ta pitié ». Sans un mot, ils reprennent leur tâche qui leur paraît d'autant plus ingrate avec une cheville et un poignet cassés. Pour détendre l'atmosphère, Corey ne manque pas de s'en insurger :

- Nous forcer à faire le ménage alors qu'on est handicapé, c'est ce qu'on appelle de l'exploitation et de l'abus de pouvoir !

- Et qu'est-ce que tu vas faire ? Une grève de la faim jusqu'à ce qu'on te témoigne un peu de respect ? ironise Loni, un seau d'eau savonneuse à la main. Désolé de t'annoncer que tu seras mort d'inanition avant que ça n'arrive.

Corey lui tire la grimace.

- Sauf avec moi, je te trouve trop gentil, il faut voir plus grand ! déclame-t-il avec conviction. Une manifestation en faveur des droits des élèves, avec des affiches à messages choc comme « stop aux cours supp ! » ou « citoyens en devenir, dites NON à la servitude ! » On pourrait même utiliser les chaises et les tables pour construire des barricades dans les couloirs et se servir des dictionnaires comme des pavés si ça tourne au vinaigre !

- Putain, mais t'es un génie ! s'exclame Loni.

- C'est vrai ?

- Non, crétin. T'es qu'un pauvre révolutionnaire nostalgique de mai 68, alors que tu n'étais même pas envisagé à cette époque.

La riposte fait éclater de rire ledit pauvre révolutionnaire. Son chiffon balancé sur l'épaule, il renvoie ironiquement la balle à son adversaire, et la conversation se poursuit ponctuée de sarcasme et de taquineries. Loni ne le montre pas, mais ces petites joutes verbales avec Corey ont le don d'émoustiller son esprit joueur. Il ne savait pas son compagnon de Symbiose aussi habile avec les mots et ‒ il faut bien l'avouer ‒ franchement drôle quand il part dans ses délires.

En apercevant le contenu brunâtre d'une cuvette, Loni manque de tourner de l'œil.

- On est dans un lycée ou dans une porcherie ? râle-t-il d'écœurement. Et encore, c'est une insulte aux cochons !

- Maniaque comme tu es, ces toilettes doivent être ton pire cauchemar, le taquine Corey.

Cherchant une riposte cinglante, Loni baisse les yeux vers le tee-shirt du jeune homme qui représente un enfant sur une balançoire tenant un gros insecte dans sa main, le tout dans des couleurs vives style années 50, avec écrit en rouge le titre de l'album Americana. Il réplique alors que son pire cauchemar est plutôt ce satané tee-shirt d'une laideur sans précédent. Corey prend une moue boudeuse.