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Loni repose son téléphone sur sa table de chevet d'une main tremblante. Est-ce la fièvre ou l'excitation ? Il n'en a pas la moindre idée et se glisse sous sa couette sans pouvoir s'empêcher d'éternuer. Loni déteste être malade. Les microbes l'ont toujours écœuré, mais aussi effrayé d'une certaine façon. Maniaque et hypocondriaque, il s'empare d'une énième lingette désinfectante, la dernière du deuxième paquet, et la passe sur ses mains, sa table, sa lampe, son téléphone... Il hésite à se laver de nouveau, avant de se faire la réflexion que prendre trois douches en une journée ferait grimper la facture d'eau du foyer à des sommes astronomiques. Pas grave. C'est l'État qui paye, de toute façon.

L'eau brûlante le fait sursauter. Loni fait bien vite de la refroidir malgré les frissons de la maladie qui lui quémandent plus de chaleur. Il doit absolument faire baisser sa température pour aller mieux. Il a juré à Corey de revenir demain. Il doit guérir. Loni ne trahit jamais une promesse.

Tout en se savonnant consciencieusement, Loni repense à Corey. Encore. Il a compté, comme il compte ses mouchoirs (19), ses lingettes désinfectantes (16), ses douches (3), ses quintes de toux (21), et ses éternuements (27). Au cours des dernières douze heures, Loni a pensé vingt-trois fois à Corey, soit près de deux fois par heure, ce qui équivaudrait à une fois toutes les heures pendant une journée entière. Et c'est sans compter leur discussion par messages qui ferait grimper le score à quarante-sept fois, en admettant qu'il aurait pensé à lui trois fois par minute, en tout vingt-quatre fois lors de cette conversation de quatre-cent-quatre-vingts secondes.

Corey exploserait de rire s'il voyait tous ses calculs. Peut-être qu'il en rougirait, aussi. Loni se demande si Corey a pensé à lui plus de quarante-sept fois. Il sait très bien qu'il ne s'est pas embêté à compter. Corey lui dirait sûrement que ça ne se calcule pas, ces choses-là...

Loni coupe l'eau de sa douche et s'enroule dans une serviette propre. Il se sent mieux maintenant, réveillé, frais et lavé. Le miroir de la salle d'eau lui renvoit son reflet légèrement embué. Un maigre garçon s'y dessine, la peau brune, des cernes sous les yeux, les cheveux frisés et mouillés. Loni laisse tomber la serviette à ses pieds. Il se considère paresseusement. S'examine, plutôt, comme il le ferait avec un sujet de laboratoire. Il pince la peau de son ventre en grimaçant. Seulement des côtes saillantes. Il n'y a rien à étudier sur un tel spécimen.

Pour la première fois, Loni se surprend à critiquer son physique. Ses jambes trop maigres, ses doigts noueux, son visage émacié, sa petite taille... Il s'en moquait, avant. Il n'avait personne à qui plaire. Mais maintenant, quelque chose a changé. Il aimerait être grand, fort, beau à regarder. Il essaye de sourire au miroir. C'est forcé, crispé, fatigué... pas habitué. Est-ce comme ça que Corey le voit ? Loni relâche mollement ses joues. Faire la gueule, ça au moins, il gère.

Après avoir enfilé un large pull par-dessus un tee-shirt, Loni quitte sa chambre pour le garde-manger du foyer, afin de grignoter son carré de chocolat noir quotidien - le seul écart alimentaire qu'il s'autorise. En chemin, il croise des éducateurs, puis les autres ados rentrés des cours : Sam qui le force à pendre un manga pour « développer ton cerveau déjà bien trop intelligent », et bien entendu...

- Ah, te voilà. J'ai toqué, mais tu n'étais pas dans ta chambre.

Loni s'arrête devant sa sœur en lui agitant sous le nez la serviette de bain qui lui recouvrait les épaules.

- Je me douchais.

- Encore ?

- Bah ouais... Tu crois que ça se tue comment, les microbes ?

- Ben, avec des médocs...

- Pas que. On guérit plus vite avec un corps propre, et je veux revenir au bahut dès demain.

La Symbiose Où les histoires vivent. Découvrez maintenant