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Les pneus du bus crissent sur le bitume face à l'arrêt de la mairie. À l'aide de ses fidèles béquilles, Joséphine et Jennifer, Corey descend du véhicule en enfonçant sa Doc Martens dans la petite montagne de poudreuse qui borde la chaussée. Les températures de ce mois de mars sont encore très fraîches, cependant le soleil commence à grignoter la neige par endroits. Corey avance sur le trottoir au rythme de la musique que diffuse ses écouteurs sans fil : Ça c'est vraiment toi de Téléphone. Bien évidemment, son tee-shirt du jour va de paire, en jaune vif. Corey imagine déjà la remarque sarcastique de Loni en le voyant habillé de cette façon :

« Tu flirtes avec les abeilles, Meyer ? »

Il sourit à cette réflexion, avant de tourner au prochain croisement. Il traverse ensuite le passage clouté et se retrouve devant le portail du foyer de l'enfance qu'il commence à bien connaître. Il sonne, se présente, entre...

En un coup d'œil, Corey repère Loni dans la cour du foyer. Un petit gars habillé en noir de la tête aux pieds, il n'y en a pas cinquante ici. Corey éprouve une sorte d'enthousiasme enfantin en l'apercevant. Il balance Joséphine dans un tas de neige et fait de grand signe de main à Loni.

Le concerné le rejoint sans se presser. Plus il avance, plus Corey discerne nettement ses traits. D'abord ses vêtements : sa doudoune violet foncé sous une épaisse écharpe, son bonnet en laine noire, son jeans usé et ses bottes en caoutchouc. Puis son visage émacié, ses sourcils froncés, sa peau brune qui se mêle aux boucles de ses cheveux. Loni se plante devant lui en le dévisageant. Corey devine dans son regard impénétrable une lueur étonnée.

- Tu t'improvises facteur, Meyer ?

J'étais pas loin ! pense Corey avec amusement.

- J'ai pas de colis pour toi, juste une chanson : « Quelque chose en toi ne tourne pas rond » ! chantonne-t-il en claquant des doigts.

- Par pitié, cantonne-toi aux instruments de musique et oublie le chant.

- C'est vrai que ça, c'est ta spécialité.

Un silence gênant s'abat sur la conversation. Loni se revoit la veille, assis sur la table haute, face au regard miroitant de Corey. Il se souvient de toutes les sensations étranges qu'il a ressenti au moment où il s'est rapproché de lui, si près que Loni percevait son souffle dans son cou. Les bouffées de chaleurs, les palpitations, l'excitation...

Il s'enfonce dans son écharpe dans l'espoir de dissimuler son malaise. Sans succès.

- En parlant de ça... débute Corey d'un ton hésitant. Hier, tu es parti sans explication, puis tu ne m'as plus adressé la parole de la journée. Je me suis inquiété, tu sais...

Loni tapote nerveusement sur le plâtre de son poignet.

- J'avais... j'avais besoin d'air, tu comprends ?

Corey hoche la tête, sans trop savoir quoi répondre. Il regrette d'avoir laisser Joséphine dans un coin, elle lui aurait été d'un grand soutien ‒ c'est le cas de le dire.

- Tu m'en veux, Loni ?

- Pour quoi ?

- Pour... avoir trop insisté. J'ai du mal à me rendre compte quand je dépasse les bornes, alors dis-le-moi, si ça a été le cas...

- Tu es...

Loni referme la bouche au dernier moment. Malgré son embarras, il n'a pas envie de dire à Corey qu'il est allé trop loin. Quelque chose qu'il ne peut expliquer l'en empêche.

- ... Tu es têtu. Comme moi. Mais hier, j'ai cru... j'ai vraiment cru que tu te foutais de ma gueule.

- Ce n'était pas le cas, lui assure Corey. Je suis désolé si tu as pensé le contraire, mais j'étais sincère quand je t'ai dit que tu avais une voix magnifique.

La Symbiose Où les histoires vivent. Découvrez maintenant