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- Échec et mat.

Sam bondit de sa chaise en se mordant les joues de frustration. La vue de son roi battu et balayé par Loni d'une simple pichenette lui est insupportable. Autour, les autres joueurs ne prennent plus la peine de relever la tête à l'entente de ses lamentations. Après cinq parties de perdues, tout le monde s'y est un peu habitué.

- Je ne veux pas y croire ! proteste Sam. Pas encore !

- C'est la réalité pourtant, lâche le vainqueur. Je t'ai battu à plate couture. Encore...

- Comment t'as fait, cette fois-ci ?!

Loni tente de lui expliquer brièvement sa stratégie, l'ouverture qu'il a utilisé et ses coups tout au long de la partie. Sam en conclut que ce n'est clairement pas humain d'arriver à planifier tout ça. Plus que deux options : soit Loni peut lire dans les pensées, soit il est capable de prédire l'avenir. Ou bien il est juste très intelligent, ce qui est encore plus inquiétant que le reste...

- J'ai peut-être perdu une bataille, mais pas la guerre. Revanche !

- Flemme, coupe Loni en quittant sa chaise. J'en ai marre de toujours gagner.

- Pff... on dirait mon père : toujours vainqueur, toujours prétentieux, rétorque Sam pour le faire réagir. Il aurait adoré jouer contre toi, dommage pour lui. Je doute que les autres détenus de la prison soient aussi doués aux échecs, il doit beaucoup s'ennuyer.

Loni se contente de hausser les épaules. Il a appris par expérience qu'il ne faut jamais répondre ou poser de questions à Sam quand il s'agit de son père, même si ses paroles semblent joyeuses et détachées. Sam porte encore dans son cœur la blessure qu'il lui a infligée : celle du rejet. Alors quand son paternel s'est fait arrêter pour avoir traîner dans des affaires louches de drogues dures, Sam n'a pas pleuré. Jamais, parce qu'un père qui renie son enfant ne mérite pas ses larmes. Voilà pourquoi sur son visage s'affiche constamment un sourire de façade.

- Tu vas où comme ça, monsieur Je-suis-trop-fort-pour-le-commun-des-mortels ?

- Au studio de musique, répond Loni sans s'arrêter de marcher.

- C'est ça, et qu'est-ce que tu vas faire là-bas ? Tu ne joues pas d'instrument, à ce que je sache.

- Mais lui, si.

C'est le mot de trop, marmonné quasi inaudiblement qui plus est. Loni soupire en voyant le sourire de Sam tourner à l'espièglerie.

- C'est qui « lui » ? s'amuse son ami.e en haussant plusieurs fois les sourcils. Tu vas au studio pour voir quelqu'un, Loni ? Quelqu'un, que dis-je !... un garçon ?

- Je ne vois personne ! rétorque furieusement le concerné, le visage en feu. C'est juste que cet imbécile est nettement moins casse-couille que toi !

Et afin d'insister sur la sympathie de sa réponse, Loni lui sert son joli majeur tout en se dirigeant à reculons vers le studio de musique.

- Tu passeras le bonjour à Corey de ma part, hein ?

- Je t'emmerde, Sam !

Une fois devant la porte insonorisée, Loni se demande sérieusement pourquoi il n'est pas resté au club d'échecs à remporter des parties faciles contre Sam. Bien sûr qu'il se rend au studio pour voir ce foutu mélomane adepte de rock'n'roll, mais il ne va tout de même pas se planter devant lui pour lui dire : « salut, Meyer, je me faisais chier alors je viens t'écouter jouer, et au passage, j'en profite pour regarder ton joli minois se concentrer devant ta partition ». Cette pensée fait sourire Loni malgré lui. Corey prendrait la grosse tête s'il lui disait cela, et de toute manière, ce n'est pas dans ses projets de lui avouer qu'avant même de le connaître, il lui avait donné le surnom de « monsieur Plaisir-pour-la-rétine »...

La Symbiose Où les histoires vivent. Découvrez maintenant