8. Thalia fuit sa maison

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PDV de Thalia, toujours dans la boutique-demeure familiale, petite ville de Gové.

Je ne la vis pas partir tout comme je ne l'entendis pas. Cependant, je sentis qu'elle avait quitté les lieux. Quant à moi, je demeurais un long moment ainsi prostrée au sol, incrédule. Je ne m'attendais pas à ce qu'elle abandonne aussi facilement pour être sincère. J'ignorais ce qu'elle voulait, mais il était évident que sa soudaine apparition n'était pas un fruit du hasard.

Mon corps entier me fit souffrir lorsque j'osai enfin bouger. Je craquais à des endroits que je n'aurais jamais cru possible. J'avançais difficilement jusqu'à la salle de bain, découvrant avec effroi mon reflet. Je voulais nier ce que le miroir me renvoyait. Je voulais croire que c'était un effet de la fatigue, un mirage. Mais je ne pouvais ignorer que celle qui me regardait dans cette glace était moi. Je bougeais, elle bougeait, c'était un fait.

— C-C'est moi...? Cette vieille... Femme ?

Je faillis pleurer tant la situation me dépassait. Un visage maigre et fripé me regardait avec de grosses larmes aux yeux. Baissant le regard, je découvris des bras maigres où ne substituaient que peu de masse musculaire. Je n'osais pas regarder mes jambes, de peur de paniquer encore plus. Je secouais vivement ma tête, refusant de céder à la panique. Cependant, je la sentais déjà en moi, affectée mon raisonnement.

— Pleurer ne va pas m'aider ! m'écriais-je seule à moi-même, cachant mes yeux et mes larmes de mes deux bras. Aucune larme ne va me sortir de cette malédiction ! Maudite Sorcière !

Mon cerveau réfléchissait à toute vitesse sur mes problèmes immédiats. Les parents arrivaient ce soir avec mon frère, je ne pouvais pas rester ici ! Même en feignant d'être malade, ils tenteraient de venir dans ma chambre. Plus je réfléchissais, plus l'évidence s'ancrait dans mon esprit en total désaccord avec les émotions qui s'expansionnaient dans ma poitrine au point de m'étouffer. Je me sentais pris dans un tourbillon émotionnel où rien ne semblait clair et défini.

Sauf une chose : j'allais devoir quitter et abandonner tout ce que je connaissais. C'était la seule certitude qui parvenait à percer mon brouillard intérieur. À ce moment précis, je m'en balançais que ce soit la peur, la confusion et qu'importe c'était quoi qui prenait cette décision. Animée par l'énergie de la peur, je griffonnais rapidement un petit mot pour ma famille avant de prendre mon sac. J'y balançais rapidement ce qui me semblait important, pressée par le temps. Je devais trouver un endroit où aller, et ce avant la nuit.

Mon regard tomba sur ma cape doublée. Le temps d'un instant, je sus où je devais aller. Dans la montagne, à l'abri du vent, se trouvait une petite cabane. Elle servait de refuge pour toutes personnes s'aventurant dans la montagne en cas de mauvais temps. Je me souvenais d'y avoir déjà été une fois, quelques années plus tôt.

Avec cet objectif en tête, je quittais la maison en passant par la cour arrière. Je me faufilais discrètement jusqu'à une charrette familière. Ce devait être celle de Gérald, un berger qui habitait près de la montagne. Je m'y glissais au moment où le véhicule se mit à bouger. Confortablement installé sur des sacs de riz et de farine, je m'endormis sans m'en rendre compte.

Je me réveillais brusquement plus tard. La charrette rebondissait violemment à cause des cahots du sol. C'était si horribles que je descendis précipitamment, encore à moitié endormie. Trouvant la première cachette à ma portée, je m'y cachais jusqu'à ce que la charrette ne soit plus qu'un point au loin.

Le temps que je me réveille complètement, je réalisais où je me trouvais. Derrière moi, je pouvais voir ma ville natale en contrebas, à deux heures de marche. J'eus le vertige de me trouver si loin, mais le bruit de mon sac qui tombe attira mon attention. Je me dépêchais de le récupérer tout en découvrant le contenu : une tenue de rechange, un couteau, un peu de nourriture, des allumettes ainsi qu'un livre. Je ne pus retenir mes larmes en reconnaissant l'un de mes romans préférés : même dans la panique et la confusion, je pensais à emmener un livre. Serrant celui-ci contre moi, je laissais les larmes glisser sur mes joues, alors que les derniers événements me revenaient tel un raz-de-marée. Je gémis tant j'avais du mal à respirer. Difficilement, je repoussais et j'enfermais toutes ses pensées dans un coin de mon esprit. Je n'avais pas le temps de m'appesantir dessus, et... Je n'avais pas envie de le faire. Prenant un coin de mon châle, caché sous ma cape chaude, je tentais d'effacer les traces de larmes de mon visage. Je pris de lentes et profondes respirations jusqu'à retrouver un semblant de calme.

Ma survie était bien plus importante, et c'est ce besoin qui me permit de faire le premier pas.

Puisant dans mon courage, je marchais longtemps, laissant les larmes couler à flot jusqu'à se tarir d'elles-mêmes. Ce répit n'était que physique, car mon mental ne parvenait pas à ne pas penser à ma famille que j'avais été contrainte d'abandonner. Cela me faisait mal dans la poitrine de savoir que je ne verrais pas mon frère être médecin, ni ma jumelle préparer à nouveau l'un de ses délicieux gâteaux. Je ne pourrais plus sentir les bras réconfortants de mon père m'enlacer ou rire avec ce dernier durant les tâches quotidiennes du jardin.

J'avais perdu tout cela, en seulement quelques minutes. Hasard, destin ? Je ne voulais plus y penser. Je ne désirais qu'une chose : un endroit sécuritaire où me reposer.

Plus vite que je croyais, le soleil se couchait. Il se mit à faire de plus en plus froid, me glaçant les vieux os que j'avais dorénavant. Lorsque ma volonté vacillait, le souvenir effrayant de la Sorcière me redonnait de la force. Je n'avais certes pas tout compris, mais mon impression d'elle était claire : ne pas s'approcher. Je continuais donc mon ascension, difficile et glaciale. Je poursuivis encore avec l'énergie de la peur lorsque celle de mon corps m'abandonnait peu à peu.

Au bout d'un moment, je vis de la lumière dans le brouillard de la montagne. Hagarde, je la regardais bêtement, me demandant d'où venait cette source de luminosité. Désespérée et confuse, je m'approchais de celle-ci avec maladresse. Mon corps était si épuisé qu'il ne cessait de trébucher. La brume finit par s'écarter, me dévoilant un perron : une maison ! Je lâchais un sanglot d'épuisement et de soulagement, en boitillant jusqu'à la porte. Je posais une main tremblante sur la poignée, craignant que ce ne soit qu'un mirage. Mes dents claquaient violemment alors que mon regard se troublait tant j'étais reconnaissante de ne pas fabuler.

Au final, je ne pus que me voir perdre connaissance, m'écroulant au sol.

Un instant plus tard, je crus entendre une porte qui s'ouvrait et le glapissement de quelqu'un. On me secoua l'épaule tout m'interpellant. Je gémis faiblement, incapable d'écarter les voiles de l'inconscience pour ouvrir les yeux ou parler. J'étais si fatiguée.

D'autres échanges s'ensuivirent sans que je ne comprenne quoique ce soit. Je parvins finalement à me concentrer pour comprendre les paroles de quelqu'un.

— Madame, relevez vous ! Je ne peux pas vous aider sinon ! s'égosillait à voix basse un enfant, il me semblait.

Difficilement, je serrais la petite main chaude qui s'était glissé dans la mienne fripée. Je parvins à soulever mon corps transie de froid. Je gémis en grimpant les marches avec raideur. Une source de chaleur m'attirait, me conférant l'énergie nécessaire pour avancer. Une voix fluette m'encouragea jusqu'à ce qu'on me parle d'un canapé. Je m'effondrais dessus, sombrant d'un coup dans l'inconscience.

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Personnellement, j'ai déjà vu bien des histoires, mais je trouve que c'est rare de lire ce moment déchirant. Ce moment où tu dois faire un choix, mais que tu n'as pas le temps de réfléchir. Tu dois agir et vite, avancer, et de supporter cet avalanche d'émotions et ces voix... 

Celle de la tristesse, celle de l'incompréhension, celle de la panique... 

Bref, un état difficile à supporter. Surtout quand tu n'as pas le droit au répit, que tu ne peux pas te donner le droit de te laisser te morfondre. Quand c'est la peur qui choisit à ta place.

Et vous, l'avez-vous senti ?

L'Éveil de l'Arcane T.1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant