Les fenêtres de l'imposante demeure claquaient au rythme des bourrasques qui emportaient avec elles les rideaux de lin blanc. De l'allée, on aurait cru à des fantômes qui essayaient de terrifier les éventuels visiteurs. Lila pouvait entendre la voix flûtée d'Arlette Guichard qui râlait contre les courants d'air. Depuis l'enterrement de son mari, elle s'était faite discrète et l'infirmière ne l'avait plus croisée dans les rues du village. Ce serait l'occasion de prendre de ses nouvelles.
Les larges escaliers d'entrée la conduisirent jusque sur le perron. L'infirmière dut sonner trois fois pour couvrir le raffut qui provenait de l'intérieur. Des bruits de pas se rapprochèrent et la porte s'ouvrit. Arlette, en legging léopard et pantoufles à pompons, se tenait face à Lila. Armée d'un plumeau, elle était tout de même parée de ses bijoux favoris. Couturière de métier, son style extravagant demeurait intact, même à la retraite et en pleine séance de ménage.
Un large sourire se dessina sur son visage lorsqu'elle aperçut la jolie infirmière :
— Oh ! Salut, ma chérie. Excuse-moi, je fais un brin de rangement, prévint-elle en poussant du pied ce qui semblait être une lampe à huile. Entre !
La jeune femme enjamba différents tas d'objets insolites et poussiéreux, ainsi que des cartons remplis de lettres de condoléances et de vinyles. Des montagnes de vêtements recouvraient également chaque recoin du hall d'entrée et du séjour.
— Si tu aimes le vintage, comme disent les jeun's, tu n'as qu'à te servir ! Certaines robes sont comme neuves.
— Il faut vous créer un compte Vinted, Arlette !
Lila s'imaginait déjà cette mamie stylée faire le buzz sur les réseaux en présentant des pièces uniques, créées de ses propres mains dans les années soixante-dix.
— Vinetède ? répéta la retraitée en détachant chaque syllabe.
Le chemin serait encore long, finalement.
— Tiens, reprit-elle en pointant du doigt une malle en bois, regarde là-dedans. Il y a des sacs à main dans un état impeccable. Et de marque en plus ! Si tu ne trouves pas ton bonheur, hop ! Aux bonnes œuvres !
— C'est gentil, répondit Lila. Ça fait du bien de faire du vide de temps en temps !
Elle jeta un œil poli au tas de cuir de toutes les couleurs, trop gênée pour oser se servir.
— Un bien fou ! Depuis toujours, j'ai une fâcheuse tendance à garder les vieilleries et c'est en devenant vieille que je m'en débarrasse, c'est rigolo, non ? Tu veux un café ?
À vrai dire, Arlette s'activait déjà autour de la cafetière avant de connaître la réponse et l'infirmière ne put refuser une énième dose de caféine. Elle s'agitait dans toute la cuisine, proposant à son invitée des biscuits, de l'eau ou un fruit.
Lila nota que la retraitée s'était rendue chez le coiffeur. Ses cheveux bruns tombaient de façon souple sur ses épaules, en boucles bien formées. Des mèches plus claires illuminaient son visage qui ne comptait que quelques rides d'expression. Depuis que son chagrin s'était quelque peu estompé, ses traits délicats paraissaient rajeunis et surtout, détendus. Lila la trouvait encore plus belle. Malgré sa taille lilliputienne, elle était ce que l'on appelle une grande dame.
L'infirmière profita d'un rare moment de silence pour s'enquérir du moral d'Arlette. Elle craignait que cette énergie débordante ne soit en réalité qu'une façade :
— En tout cas, vous semblez en forme, je suis contente, amorça-t-elle avec douceur.
— Il y a des jours plus gais que d'autres, mais qu'est-ce que tu veux ? C'est la vie et il faut continuer à la vivre du mieux qu'on peut. Si je m'apitoie sur mon sort, je risque de trouver le temps long jusqu'à ce que la mort vienne me chercher !
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Tu as pris ton temps
RomanceEn faisant sa tournée habituelle à travers les rues étroites du village, Lila, infirmière à domicile, rend visite à Arlette Guichard, veuve d'un patient décédé. En plein tri dans sa grande maison, Arlette se fait une joie de partager ses souvenirs d...