Chapitre 12 - Lorsque le passé nous rattrape

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Ce matin-là, le soleil de fin d'hiver titillait la rosée qui dormait encore sur la vallée. Arlette, debout depuis l'aurore, avait déjà terminé son ménage habituel. Avant de poursuivre sa journée de retraitée active, elle prépara son thé au citron, en y ajoutant une pointe de miel. Elle le laissa infuser quelques minutes et en profita pour récupérer le journal dans la boîte aux lettres. Son petit-déjeuner prêt, elle s'installa sur la terrasse.

Enveloppée de son peignoir en velours marine, elle arborait de gigantesques lunettes de soleil qui lui mangeaient la moitié du visage. À éplucher les pages du quotidien régional, tout en remuant sa cuillère en argent dans sa tasse, on aurait pu croire à une diva déchue. Il ne manquait qu'un ou deux paparazzi cachés derrière les bosquets, prêts à capturer la scène. Mais il n'en était rien, il n'y avait personne autour de la maison.

Accompagnée par le chant des mésanges et les cris lointains des chiens courant après un gibier, elle savourait ce moment de quiétude. L'odeur des cyprès et de la terre humide, mélangée à celle des cheminées fumantes des environs la réconfortait sans qu'elle sache l'expliquer. C'était peut-être aussi le ballet lent et hypnotique des troupeaux paissant l'herbe grasse de la vallée qui rendait l'ambiance si particulière. Sa terrasse était, de loin, l'endroit où elle se sentait le mieux.

Après avoir rempoté les quelques plantes grasses qui ornaient son séjour, Arlette s'était installée devant son émission de cuisine préférée. Le téléphone sonna. C'était une heure inhabituelle. Peut-être encore l'un de ces maudits démarchages ? Elle baissa le son de la télévision, et vit s'afficher le numéro de l'infirmière. Son cœur manqua l'infarctus. Allait-elle lui annoncer qu'elle était parvenue à retrouver Richard ? Ou bien était-il mort ?

— Arlette, bonjour. C'est Lila. Comment allez-vous ? Je ne vous embête pas ?

— Pas du tout, mentit la retraitée.

Elle coupa le clapet au présentateur vedette et s'installa dans son fauteuil, le dos droit. Elle s'abandonna à la sentence, cramponnée au combiné. Heureusement, Lila ne tarda pas à commencer son récit :

— J'imagine que vous connaissez la raison de mon appel. Avec Johan, nous avons fait quelques recherches sur votre... vieil ami. Il s'avère qu'un certain Richard Sebastiani a organisé une exposition d'art, à Aix-en-Provence, en 2016. Un article a paru dans la presse locale pour l'occasion.

— Oui...

Les mains d'Arlette devenaient de plus en plus moites.

— Il y avait une photo dans l'article. On peut y voir un homme d'environ votre âge qui correspond à votre description et qui pourrait coller aux photos de jeunesse que vous m'avez montrées. Il pose au milieu de ses tableaux et, en arrière-plan, nous avons remarqué le portrait d'une jeune femme qui nous a rappelé vaguement quelqu'un, si vous voyez ce que je veux dire !

Arlette, en apnée, n'émit aucun son. Était-ce possible ? Cet homme pouvait-il être Richard ? Son Richard ?

Lila poursuivit ses explications :

— Le journal en question n'a pas gardé ses coordonnées, mais, Johan a trouvé sur Facebook une certaine Marie-Cécile Sebastiani, qui doit être plus ou moins de notre génération et qui réside également à Aix.

— D'accord...

— Nous l'avons contactée.

— Vous lui avez raconté notre histoire ?

Les mots "notre histoire" résonnèrent de façon étrange dans la bouche d'Arlette. Comme une mélodie lointaine qui n'était devenue, au fil du temps, plus qu'un simple murmure. Était-ce encore leur histoire ? Celle qui, jadis, avait été leur refuge, leur parenthèse salvatrice dans un monde en guerre ? Ou bien était-ce devenu une simple anecdote, une parmi tant d'autres, condamnée à sombrer dans l'oubli des mémoires ?

Tu as pris ton tempsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant