Chapitre 21 - La Belle Époque

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— Crois-tu qu'on pourrait rester comme ça jusqu'à la fin ? Suspendus à notre téléphone en train de plaisanter ?

Richard posa la question à Arlette en riant. Depuis leurs retrouvailles téléphoniques, leur échange avait continué. Ils n'avaient pas mis longtemps à céder à l'envie de se parler à nouveau et de partager tous ces morceaux de leurs vies qu'ils n'avaient pas vécus ensemble. Arlette avait également ressenti le besoin de lui écrire, car, au téléphone, les sentiments et les ressentis sont moins avouables.

En réponse, il lui avoua qu'il avait toujours eu l'intime conviction qu'ils allaient finir par se retrouver, et que, tout au long de sa vie, il n'avait jamais vraiment cessé de penser à elle. Arlette avait fini par croire que leur histoire avait été écrite de cette façon et que rien n'aurait pu en modifier le cours.

Pourtant, chaque fois que le sujet de leur conversation dérivait sur le départ de Richard, leurs mariages ou bien, le moment charnière où ils s'étaient quittés, chacun trouvait toujours de quoi le contourner habilement. Ils n'avaient pas encore la force d'aborder les questions qui fâchent, de peur que la magie s'envole.

Mais parler à Richard ne suffisait pas à Arlette. Elle avait envie d'aller plus loin, d'aller jusqu'au bout de cette aventure ubuesque. Elle avait envie de le revoir.

— Nous pourrions, oui, murmura-t-elle. Mais ne crois-tu pas que nous serions un peu frustrés ?

— Frustrés ? répéta-t-il, comme s'il n'avait pas saisi son allusion.

— Tu n'es donc pas curieux de savoir à quoi je ressemble aujourd'hui ?

— J'avoue que j'ai du mal à me l'imaginer, avoua-t-il. Toi, tu... Tu n'aurais pas peur d'être déçue ?

Elle fronça les sourcils et répondit sans hésiter :

— Non.

Le physique lui importait peu. C'était bon pour les adolescents. Et encore ! À l'époque, elle avait aimé Richard pour ses beaux yeux, c'est vrai, mais aussi pour tout le reste. Ils n'avaient plus l'âge de s'intéresser à l'enveloppe. Seul le contenu comptait vraiment.

— Alors, que dirais-tu de me retrouver à Aix ? Quand ça t'arrangera, bien sûr.

Arlette sourit, satisfaite.

— Ce serait une bonne idée, répondit-elle simplement. Je pourrai venir en train pour la journée. Un jour où il fera beau.

— Oui, et si c'est trop fatigant de faire l'aller-retour dans la journée, je pourrais t'héberger, j'ai une chambre en plus.

Elle sourit de nouveau, plus largement.

Ils se mirent d'accord sur le samedi suivant et raccrochèrent, à la fois heureux et terrifiés. C'est fou de se parler, de rire, alors qu'on a tant pleuré. Ça fait peur, comme un saut dans le vide. On ne sait pas comment on va atterrir, si ça va faire mal, mais le vol offre une telle adrénaline qu'on ne réfléchit pas à ce qu'il se passera après. Seul le présent compte. Richard allait peut-être disparaître à nouveau. Elle ne voulait pas prendre le risque de manquer l'occasion de le revoir.

Arlette n'en parla à personne. Elle souhaitait garder toute cette histoire encore un peu pour elle. C'était un secret qui lui appartenait, qu'elle voulait apprécier avant que les complications viennent s'en mêler. Elle se servit de ces quelques jours pour réfléchir aux tenants et aboutissants du retour de Richard dans sa vie et quelle en serait la teneur.

Après ce rendez-vous, continueraient-ils à échanger ? À quel rythme ? Seraient-ils sur la même longueur d'ondes concernant la suite, s'il y en avait une ? À son âge, il n'était pas raisonnable de s'imaginer bâtir quoi que ce soit d'autre sur les ruines d'une histoire vieille de soixante ans. Et pourtant, au fond, elle en rêvait. Parce que Richard était spécial, depuis le tout premier jour, et qu'il n'avait jamais cessé de l'être. Elle n'arrivait pas encore à se l'expliquer, mais c'était ainsi.

Tu as pris ton tempsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant