Tu as pris ton temps

Chapitre 11 - Les lois de l'univers

La bouteille à la mer lancée par Lila et Johan attendait désespérément une réponse. De temps en temps, Lila vérifiait sa messagerie, craignant que la réponse ne disparaisse dans les méandres des messages indésirables. Mais non, toujours rien. Pourtant, elle voulait croire aux retrouvailles romanesques entre un vieil homme encore séduisant et son amour de jeunesse qui l'aurait attendu toute sa vie. Mais encore fallait-il que Marie-Cécile Sebastiani leur réponde !

Malgré son impatience, Lila se retenait d'envoyer un second message. Elle préférait se fier au destin : si Arlette et Richard étaient voués à se retrouver, ils se retrouveraient. Sinon, cela signifierait que la vie, l'univers, ou quelque force mystérieuse en avait décidé autrement.

L'attente teintait donc ce début d'année qui suivait le même chemin que la précédente. Lila s'impliquait dans son travail, se prélassait dans son petit cocon, planifiait des sorties en ville avec sa meilleure amie et Raphaël avait enfin été jeté aux oubliettes pour de bon.

Et puis il y avait Johan. Johan qu'elle voyait pratiquement tous les jours. Johan avec qui elle échangeait des textos jusqu'à des heures tardives. Johan qui continuait à lui offrir des madeleines de temps en temps. Johan. Celui qui faisait frémir les papillons dans son ventre alors qu'elle les pensait condamnés à ne plus jamais voler. Malgré la gêne ressentie le lendemain du réveillon, leur complicité était restée intacte et, pour l'instant, c'était tout ce qui lui importait.

En plus de se croiser à l'épicerie, ils s'échangeaient fréquemment des messages. Il la taquinait, lui envoyait des vidéos marrantes et, bien que réticente au début, elle s'était laissé embarquer dans ce jeu risqué. Ces échanges apaisaient sa solitude, comblaient un vide qu'elle avait depuis longtemps ignoré. Elle aimait que quelqu'un pense à elle, tout simplement.

Alors que Lila tentait de se persuader que ce degré d'amitié avec Johan lui convenait, une part d'elle-même relativisait sa situation de célibataire. Coincée derrière un couple en pleine discussion sur le choix du dentifrice à la pharmacie, la solitude ne lui semblait tout d'un coup pas si déplaisante. C'est vrai qu'elle se sentait bien seule, heureuse de ne devoir rendre de compte à personne. Il était tellement plus facile de nier l'évidence et de se protéger d'un nouveau désastre amoureux ! Car, pour être honnête, certains jours, elle aurait apprécié une épaule sur laquelle s'appuyer, des discussions et un rire pour accompagner ses dîners et surtout, surtout, des bras dans lesquels s'endormir. Pour cela aussi, elle s'en remettait à la providence. En attendant, elle laissait couler la vie, heureuse d'acheter son dentifrice en paix.

Le couple se décida enfin et ce fut son tour. Lila demanda les médicaments de Francis Pastis et ce fut ce moment-là que l'univers choisit pour aligner ses planètes. Un mercredi après-midi, deux semaines après l'envoi de leur message, Lila et Johan reçurent enfin une réponse.

De : Marie-Cécile Sebastiani

Bonjour, Mademoiselle Roy, je vous prie de bien vouloir m'excuser. Votre message avait été malencontreusement classé comme indésirable et je n'ai jamais pris le temps de m'y intéresser. Je vous confirme bien que Richard Sebastiani est de ma famille : c'est mon oncle. Je lui ai fait part de votre projet sur les artistes séniors et je vous avoue qu'il s'est senti très flatté (bien que le terme sénior lui hérisse les poils !).

Dans la suite du message, Marie-Cécile proposait à Lila de prendre directement contact avec Richard et lui fournissait son adresse et son numéro de téléphone. Lila ressentit des frissons d'excitation, mais ses pensées furent interrompues par la voix de la pharmacienne :

— C'est tout ce qu'il te faut, ma belle ?

— Oui, merci, Jasmine. On se voit bientôt. Bonne journée !