Chapitre 14 - Quitter le nid

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Arlette tournait en rond. Il y avait des jours où la solitude se faisait plus pesante et effrayante que d'autres. Parfois, il lui arrivait d'imaginer qu'elle tombe, qu'elle fasse un malaise ou qu'elle meure dans son sommeil et que l'on ne la retrouve que bien plus tard. Que c'est triste de vieillir seule !

Elle repensa à la petite valise bleue. N'était-ce pas le bon moment pour se confronter à son contenu ? Elle n'avait pas eu la force, ni le courage de s'y attarder en la présence de Lila et depuis, elle repoussait le moment de remettre le nez dedans. Sans prendre le temps de réfléchir, elle se rendit dans la chambre d'amis qui lui servait désormais d'entrepôt à souvenirs et y dénicha ce qu'elle cherchait. Elle s'installa confortablement sur son fauteuil Louis XVI et renversa le contenu de la valise sur la table basse du séjour.

Certaines photos étaient plus émouvantes que d'autres, celles avec Richard bien sûr, mais aussi avec Jacqueline et Félix. Elle s'évertua à les trier dans l'ordre chronologique, du moins autant que sa mémoire le lui permettait et finit par tomber sur le fameux dessin. Ce qu'elle était belle là-dessus...

Il émanait de ses traits un profond bonheur. Elle ne savait pas que l'homme qu'elle aimait et qui l'immortalisait sur du papier s'apprêtait à la quitter. Son sourire était magnifique, accompagné par un regard langoureux, comme si elle essayait de le convaincre de poser son fusain et de venir plutôt l'embrasser. Elle ne savait pas qu'ils ne se verraient plus jamais.

C'était le dernier portrait d'Arlette que Richard avait dessiné.

La retraitée tourna délicatement le papier vers le recto et parcourut les quelques mots, inscrits ici pour l'éternité. Elle les lut comme pour la première fois, comme si elle ne les connaissait pas par cœur.

« Tant qu'il y aura de l'amour, on ne se quittera jamais. »

R.S

Où avait bien pu passer l'amour depuis ce jour-là ?

Arlette avait besoin d'air. Mécaniquement, elle rangea la valise, enfila son blazer noir et un foulard de soie, et sortit. Ses pas la conduisirent le long de la route déserte, puis devant l'église. Elle passa par un chemin de randonnée, c'était un raccourci qui menait jusqu'au cimetière. Elle descendit la longue pente en prenant bien garde à ne pas glisser sur les feuilles mortes et se rendit dans l'allée des roses.

— Bonjour, toi.

Elle se baissa et, en faisant la grimace, réussit à s'asseoir. Elle caressa le granit gelé, le temps de reprendre son souffle.

— J'avais besoin d'être près de toi, murmura-t-elle. Il faut que je te fasse une confidence, Marcel... Je n'arrive pas à me sortir Richard de la tête. Et je ne sais pas ce que je dois faire. Ce qu'il s'est passé avec lui a toujours été un peu tabou, mais tu savais très bien qui il était pour moi. D'ailleurs, je te remercie de n'avoir jamais cherché à en savoir plus. Parce que tu étais convaincu de mon amour pour toi et tu as eu raison de me faire confiance. Tu as été le meilleur mari dont je pouvais rêver.

Elle se tut un instant, comme si elle laissait le temps à Marcel de répondre depuis là-haut.

— J'espère que tu ne le prendras pas comme une trahison... mais je dois savoir, tu comprends ? Richard, c'est la partie de ma jeunesse envolée, la pièce manquante, la dernière part d'insouciance qui m'a été enlevée. Je ne pourrais jamais m'en aller en paix, comme tu l'as fait, si je ne lui demande pas pourquoi il est parti. Pourquoi il a disparu sans dire au revoir.

De grosses larmes dévalèrent ses joues en silence. Elle sortit un mouchoir de son sac pour se moucher avant de reprendre :

— Tu me manques tellement...

Tu as pris ton tempsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant