Octobre 1960

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Arlette, 17 ans

— Joyeux anniversaire, ma Pâquerette.

Les paumes de Richard enveloppent mon visage. Nous nous sommes retrouvés comme prévu, devant la fontaine. Il dépose un tendre baiser sur mes lèvres avant de reculer et de m'offrir sa main tendue :

— Tu viens avec moi ?

— Je ne te demande pas où, n'est-ce pas ?

— Tu commences à bien me connaître, je ne dirai rien.

Je grimpe sur la mobylette qui a remplacé sa bicyclette depuis quelques semaines, et nous filons en fanfare. Je suis un peu déçue de constater que nous prenons le chemin de son atelier. Je m'attendais à une surprise un peu plus particulière. Il faut croire que Richard m'a un peu trop bien habituée...

Devant la cabane qui, à première vue, ne cache rien d'inhabituel, il me tient par les épaules et prend un air très sérieux.

— Attends-moi ici.

Il part en trottinant et claque la porte en bois derrière lui. J'entends ses pas et des bruits de meubles que l'on déplace. On dirait bien qu'il prépare quelque chose. Au bout de quelques minutes, la porte s'ouvre sans que Richard se montre. Je secoue la tête et m'avance en riant.

Je pénètre avec méfiance à l'intérieur de son antre. Un matelas est installé à même le sol. Tout autour, des bougies ont été allumées et un chevalet prêt à être utilisé lui fait face. Sur l'établi, un bouquet d'hortensias blancs trône dans un vase de porcelaine. C'est magnifique.

La porte claque et je me sens enveloppée par des bras musclés.

— Joyeux anniversaire, me souffle-t-il dans la nuque. J'ai tout arrangé, Jacquie te couvre jusqu'à demain.

Je le regarde avec des yeux ronds. On en avait parlé, d'une nuit entière, rien que tous les deux, à refaire le monde et à s'aimer. Mais j'étais persuadée que ce n'était qu'un rêve impossible à réaliser. À cause des interdits, à cause des adultes qui pensent que l'on ne peut pas réellement s'aimer à dix-sept ans, et à la bienséance que l'on nous impose. Pour Richard, rien n'est interdit. Richard est un faiseur de rêves. Il n'attend pas que l'on décide à sa place, il crée son propre chemin et c'est pour cela que je l'aime.

Je suis néanmoins surprise de Jacqueline. Jamais je n'aurais pensé qu'elle accepterait de désobéir à ce point ! Mais depuis qu'elle a fait la connaissance de Michel, je la trouve différente. Elle dit qu'elle n'est pas amoureuse, que ce n'est qu'un ami avec qui elle aime danser et aller à la bibliothèque, mais je la vois bien sourire et se parfumer pour s'y rendre ! Peut-être que rencontrer l'amour à son tour lui a ouvert les yeux et qu'elle sera moins intransigeante ?

En tout cas, c'est un magnifique cadeau d'anniversaire que Richard me fait là !

— Merci, merci, merci.

Je lui saute au cou et le couvre de baisers. Mes pieds ne touchent plus terre, comme si je faisais le poids d'une plume. Il me soutient en l'air grâce à ses mains puissantes qui enlacent mes cuisses à la naissance de mes fesses. Je rougis, mais ne lâche pas ses pupilles brillantes. Pendant quelques instants, nous nous toisons. C'est l'une des rares fois où je peux l'observer de haut et ce que je vois ne me déplaît pas.

Ses yeux se plissent dans un sourire et il m'informe de la suite des évènements :

— En plus des fleurs, j'avais pensé à t'offrir un portrait... Si tu veux bien poser pour moi, bien sûr.

Mon approbation s'exprime par un léger mouvement de tête. Il s'incline et laisse ses doigts effleurer mes côtes avant de me lâcher avec délicatesse, emportant avec lui les plis soyeux de mon jupon. Le jeu qu'il initie me séduit, je riposte.

Tu as pris ton tempsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant