Chapitre 24 - L'odeur de lavande

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Le soleil embrasait les champs de lavande de la Haute-Provence. Comme souvent au printemps, Arlette avait proposé à Jacqueline d'aller faire une promenade sur l'un des nombreux sentiers que comptait leur belle région.

Les deux amies marchaient côte à côte, lunettes de soleil sur le nez. Seul le doux chuchotement des brins mauves dansant au gré de la brise troublait leur silence. Elles avaient besoin de calme pour se retrouver et parler posément. Au téléphone, Arlette n'avait rien évoqué de particulier. Elle avait fait comme si tout était normal, comme si elle ne venait pas de retrouver l'amour de sa vie.

Cependant, Jacqueline sentait bien que quelque chose était différent. Les années d'amitié estompent les barrières du secret. Depuis qu'elle avait révélé à sa sœur de cœur l'existence de la lettre de Richard, elle avait préféré prendre le large et avait attendu que l'orage passe.

Arlette, pourtant en colère et très affectée par sa trahison de l'époque, avait apprécié sa discrétion. Elle avait pu profiter de sa correspondance quotidienne avec Richard. Mais plus les jours passaient, plus la colère provoquée par le mensonge se diluait. Oui, sa vie aurait pu être différente, elle aurait pu ne pas souffrir autant du départ de Richard, mais que pouvaient-elles y faire maintenant ? À quoi bon se brouiller à leur âge pour une erreur commise à l'adolescence ? Il ne lui restait plus qu'à annoncer à Jacqueline le chamboulement qu'était en train de connaître son existence.

Arlette se baissa et tailla deux brins de lavande d'un geste précis. Elle les frotta aux creux de ses paumes, avant de porter ses mains à ses narines. Elle prit une grande bouffée de souvenirs.

— Ça me rappelle notre enfance, lorsqu'on venait couper les tiges.

— Oui, répondit Jacqueline en l'imitant. Après la récolte et une fois la lavande séchée, je remplissais les sachets que tu avais cousus.

Arlette acquiesça, mais un nœud serrait son estomac. Le poids de la révélation qu'elle portait menaçait de tout ébranler.

— Jacquie, il y a quelque chose que je dois te dire.

Jacqueline tourna son regard vers Arlette, intriguée par la gravité dans sa voix.

— J'ai revu Richard.

Il y eut un moment de flottement. Deux éperviers s'envolèrent un peu plus loin. Même la nature ressentait la tension s'installer. Jacqueline continua d'avancer, impassible.

— Je sais.

Les brins écrasés s'échappèrent des doigts de l'ancienne couturière.

— Comment ça, tu sais ?

— Je m'en doutais, je veux dire.

— Oh...

— Tu devrais voir ta tête ! On dirait une gamine qui a peur de se faire engueuler.

Arlette se renfrogna. Jacqueline avait fait cette remarque en y glissant une pointe d'acidité. C'était tout juste si elle n'avait pas levé les yeux au ciel. Les bras croisés, elle continua à avancer et demanda par-dessus son épaule :

— Comment va-t-il ?

— Bien, bien.

— Tant mieux.

Son ton sec trahissait son indifférence. Jacqueline n'avait que faire de la situation de Richard et ne manquait pas de le faire sentir. Arlette la rattrapa et, arrivée à sa hauteur, raconta toute l'histoire d'une traite :

— Si tu veux tout savoir, on s'est d'abord appelés, puis on s'est donné rendez-vous à Aix et c'était incroyable, Jacquie. Incroyable ! Il n'a pas changé, je l'aurais reconnu entre mille. Ses yeux, ses mains, tout ! J'avais enfoui mes souvenirs avec lui et tout est ressorti. De son côté, c'était pareil. Une fois la surprise passée, c'était tellement fluide et évident, comme... Comme avant. Ensuite, on est allé chez lui. On avait besoin d'un endroit où l'on se sentirait plus à l'aise pour discuter des choses qui fâchent.

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