Épilogue

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Arlette, 78 ans

La première fois que j'ai vu Richard, c'était ici, sur le champ de foire de la Saint-Jean, il y a soixante-trois ans, jour pour jour. Comme à l'époque, les rires des enfants s'allient à la clameur des forains et à l'odeur sucrée des pommes d'amour. Depuis ce 23 juin 1959, nous avons traversé bien des épreuves, souvent loin l'un de l'autre. Il y a quelques semaines encore, je pensais ne jamais le revoir. Alors ce rendez-vous aujourd'hui, main dans la main, nous ne pouvions pas le manquer.

Avant de nous décider, nous avons craint les ragots. Je les entendais déjà ! "Maintenant que son mari est mort, elle s'affiche avec son amant. Quel âge ont-ils pour s'aimer avec si peu de pudeur ? Il s'est trouvé une bonne femme pour finir sa vie, il est malin celui-là." Mais nous avons arrêté de tergiverser. À notre âge, il est temps d'arrêter de vivre selon ce que penseront les gens. Il nous reste peu de temps, alors autant être heureux ! Peu importe si on nous prend pour deux vieux fous.

À notre arrivée, mon bras glissé sous celui de Richard, les regards se tournent vers nous. Ceux des anciens, bien sûr. Les jeunes, eux, ne remarquent même pas notre présence. Richard me jette un coup d'œil en coin, mais je ne me défilerai pas. D'un discret mouvement de tête, je lui indique que nous pouvons continuer.

Entre les stands des brocanteurs, un chignon blanc capte mon attention. Jacqueline, plongée dans l'examen d'un miroir doré, ne remarque pas notre approche. Par réflexe, je récupère mon bras. Je savais qu'elle serait là et j'ai fait promettre à Richard de ne pas mentionner la lettre ou un quelconque sujet sensible. Je me penche vers lui et murmure :

— Regarde qui est là.

— Allons-y.

Il prend une profonde inspiration et se grandit. Le reflet du miroir nous annonce et Jacqueline fait volte-face. Je sais désormais ce que signifie l'expression voir un fantôme. Dans le cas de Jacquie, c'est un peu vrai.

— Bonjour, Richard.

— Ça alors, Jacqueline ! s'exclame-t-il avec plus d'enthousiasme que de raison. Décidément, l'air d'ici doit conserver. Tu n'as pas changé !

Le sourire de ma vieille amie est crispé, mais je la sens émue de le revoir. C'est un pan de sa jeunesse aussi qui se tient devant elle. Je me surprends à penser que la dernière fois que nous nous sommes retrouvés tous les trois, nos cheveux étaient de couleur différente, nos dos moins voûtés, et notre époque plus douce. Nous étions encore gamins, amoureux, heureux.

Jacqueline glisse une main nerveuse sur son chignon, comme pour s'assurer qu'il est toujours en place.

— Tu n'as pas vraiment changé non plus, admet-elle.

— Je me suis seulement assagi.

Il lui fait un clin d'œil et son charme légendaire fait le reste. Comment lui résister ?

— Et toi, Arlette, je te trouve très élégante. Cette robe est nouvelle, je me trompe ?

— C'est gentil. Tu as l'œil ! Je l'ai achetée à Aix récemment.

Nous marchons tous les trois sur des œufs le temps d'une conversation. Équilibre fragile qui pourrait vaciller à tout moment. Pourtant, nous réussissons à le maintenir, chacun y mettant du sien. La carrière de Jacquie impressionne Richard. Elle confie être curieuse de découvrir ses œuvres. Ils comparent l'âge de leurs enfants et moi, j'assiste à cet échange irréel, le souffle court.

Près de la buvette, des visages familiers se détachent soudain de la foule. J'interromps les bavardages :

— Vous venez avec moi ? Richard, il faut que je te présente.

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⏰ Dernière mise à jour : Jun 29 ⏰

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