Janvier 1960

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Arlette, 16 ans

Il neige ! Ce matin, nous nous sommes réveillés sous un épais manteau blanc. Il fait si froid dans les salles de classe que les professeurs ont décidé de nous laisser quartier libre. Avec Jacquie, nous nous sommes couvertes comme nous avons pu : bonnets, mitaines, écharpes, caleçons et plusieurs couches de pulls en laine que j'ai tricotés pendant la semaine de Noël.

Nous ressemblons à de petits moutons colorés. Le reflet du miroir déclenche d'ailleurs un fou rire d'anthologie.

— Richard et Félix ne vont pas nous reconnaître, note Jacqueline.

— Tant mieux ! Si nous sommes méconnaissables, personne ne pourra aller cafter à mon père que je fréquente toujours Richard !

Ils nous attendent devant le pensionnat, aussi équipés et ridicules que nous. Richard, d'habitude si élégant, porte un long manteau d'hiver de couleur beige. Ses chaussures de cuir noir sont remplacées par des bottes de neige bleues, épaisses et douillettes, qui montent jusqu'à mi-mollet. Un bonnet en laine rouge recouvre ses cheveux blonds et laisse seulement apparaître le bout de ses mèches rebelles.

Félix, quant à lui, s'est affublé d'un blouson matelassé vert sapin. Ses bottes sont recouvertes de chaussettes épaisses et il porte même des jambières assorties. Une écharpe à carreaux protège son cou, touche finale de sa tenue de neige.

En les voyant arriver, il est impossible de nous retenir de pouffer.

— Vous vous êtes vues ? se vexe Félix. On dirait des Esquimaux !

— Et vous, rétorque Jacquie dans un rire enfantin, des explorateurs revenant du pôle Nord !

Pour la faire taire, Richard lui jette une boule de neige qu'elle reçoit en plein front. Je ris de plus belle et me hâte de venger ma meilleure amie. Mon amas de poudreuse rate sa cible, Richard est déjà en train d'en préparer un autre qui sera pour ma pomme. Félix s'y met lui aussi et c'est sans surprise que les garçons gagnent cette bataille.

Je suis à terre sous le joug ennemi, lorsque Jacqueline hisse le drapeau blanc :

— C'est bon, le jeu est terminé !

Sa tresse blonde est trempée et parsemée de flocons. Elle m'aide à me relever tandis que les garçons se félicitent d'avoir rétabli l'ordre. Je tapote mes vêtements pour retirer les petits cristaux et propose une nouvelle activité :

— Oui, allons plutôt faire de la luge !

Je trépigne depuis que j'ai aperçu l'engin en bois tiré par Félix.

— On n'a qu'à aller dans la grande descente du belvédère ? propose ce dernier.

— C'est un peu dangereux, non ? Et s'il y a des autos garées sur le bas-côté ? s'inquiète Jacquie.

— Ne t'en fais pas ! la rassure Richard. On fera une reconnaissance avec Félix et promis — il se tourne vers moi — on sera prudents !

Il touche le bout de mon nez avec son doigt ganté et nous partons.

J'adore le bruit feutré et le craquement de la glace sous nos pas mal assurés. Nous manquons de glisser sur les plaques de verglas qui se sont répandues un peu partout sur notre chemin. Il y avait bien longtemps qu'il n'avait pas autant neigé par ici !

Arrivés au sommet, nous contemplons la vue époustouflante sur la vallée en contrebas. Une mer de neige s'étend devant nous, avec en arrière-plan, les montagnes majestueuses qui domptent l'horizon et veillent sur ce paysage immaculé.

— C'est magnifique ! s'exclame Richard, ses yeux brillant d'émerveillement.

— Absolument incroyable ! renchérit Jacquie, visiblement touchée par la beauté du spectacle.

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