Août 1959

155 24 87
                                    

Arlette, 15 ans

— Vous êtes sûres de vouloir y aller ? demande Félix. On va cuire là-dedans !

Il s'évente avec sa casquette. Richard est appuyé contre le platane, les trois premiers boutons de sa chemise sont ouverts sur son torse, tandis que Jacquie a rehaussé ses cheveux en queue de cheval afin d'offrir un peu d'air à sa nuque. La chaleur est étouffante et la salle de cinéma n'est pas réputée pour sa fraîcheur.

Depuis notre rencontre, nous avons pris l'habitude de nous retrouver tous les quatre le dimanche devant le guichet. Ce n'est pas le lieu idéal pour apprendre à se connaître, mais je retrouve Richard et c'est bien tout ce qui m'intéresse.

— Que proposes-tu à la place ? interroge Jacqueline, qui tamponne son décolleté avec un mouchoir blanc.

Félix lance une œillade complice à son ami et répond :

— Nous, on connaît bien un endroit au frais, pas vrai ?

— Oui, renchérit Richard, un endroit secret. Il faut qu'on puisse vous faire confiance pour vous y emmener. Pas question d'en parler à qui que ce soit d'autre, d'accord ?

Il me dévisage en souriant et je me tourne vers Jacquie :

— On ne dira rien à personne, n'est-ce pas ?

— Et où est-il, ce lieu que vous seuls semblez connaître ?

Jacquie prend un ton suspicieux qui risque de les faire changer d'avis. Pourtant, Richard ne cesse de sourire et choisit de jouer les grands seigneurs dans le but de la convaincre :

— Nous vous y conduirons, Mesdemoiselles. Mais pour cela, il faudra grimper sur nos bécanes.

Il indique d'un signe de tête les deux bicyclettes appuyées contre le muret, à l'ombre, de l'autre côté de la route.

— Hors de question ! s'exclame mon amie.

— Jacquie, enfin, ne sois pas si froussarde ! Ils iront doucement. On ne va quand même pas rester ici des heures en plein cagnard ?

Après plusieurs minutes de négociations, nous arrivons à la convaincre en faisant promettre aux garçons de ne pas faire les idiots. Pressés de nous faire découvrir leur endroit si mystérieux, ils enfourchent leur bécane comme ils disent, et nous grimpons sur la scelle. Nous n'avons pas à nous battre, Jacquie suit Félix et me laisse faire équipe avec Richard.

Nous quittons les rues désertées par les adultes en pleine sieste du dimanche et nous dirigeons vers la forêt. Je n'ai pas d'autre choix que de me cramponner au corps de mon chauffeur. J'essaye de ne pas coller ma poitrine contre son dos, j'aurais trop peur qu'il sente mon cœur battre la chamade. De temps en temps, il tourne la tête vers moi et me demande si tout va bien. Comment pourrais-je aller mal en cet instant précis ?

— C'est par ici.

Félix indique un sentier abrupt, qui serpente entre les buissons, en contrebas de la route. En nage, les garçons nous aident à descendre de nos carrosses et cachent les bicyclettes derrière un fourré.

— Si j'abîme ma jupe à cause de vous, vous le regretterez !

Jacquie ne peut s'empêcher de se montrer méfiante lorsque nous faisons des choses qui sortent du cadre rigoureux qu'elle s'impose. Je crois que c'est parce qu'elle a peur de se faire prendre avec des garçons un peu plus âgés et que nos aventures arrivent aux oreilles de son père. J'essaye de la rassurer du mieux que je peux et passe en premier, après nos guides.

— Je passe devant. Je te préviendrai si la mienne s'accroche à un branchage et nous ferons bien attention.

Elle hoche la tête et sans dire un mot, je comprends qu'elle me remercie. Au bout de quelques minutes de marche, Richard se stoppe, manquant de provoquer un carambolage au sein de notre file indienne. Il lève un doigt, à l'affût :

Tu as pris ton tempsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant