Sans qu'ils ne s'en rendent compte, le ciel s'était couvert et le temps avait tourné à l'orage. Une pluie épaisse s'abattait sur le pare-brise tandis que Richard se garait dans une allée séparant de jolies propriétés.
— Ne bouge pas, je vais chercher un parapluie, déclara-t-il alors qu'il éteignait le contact.
— Tu plaisantes ? Je ne suis pas en sucre ! En revanche, je veux bien que tu portes ma valise. Et fais attention à ne pas tomber, ajouta Arlette en papillonnant des cils.
Il lui sourit et se précipita sous l'averse. Les mains au-dessus de ses cheveux en guise de protection, elle s'élança à son tour et suivit Richard jusque sous son porche. D'un geste galant, il l'invita à entrer.
À peine franchirent-ils le seuil que la demeure les enveloppa de sa chaleur réconfortante. Un parfum boisé bien connu emplissait chaque pièce. Pendant que Richard rangeait la valise dans le cellier, le séjour attira Arlette. Ou plutôt, la salle d'exposition !
La maison était bien plus moderne que la sienne, mais les babioles, tableaux et autres photographies cachaient presque l'intégralité de la peinture blanche des murs. Chaque objet avait une histoire à raconter et Arlette espérait toutes les découvrir, même s'ils étaient des témoignages manifestes de souvenirs dont elle ne faisait pas partie.
Richard la rejoignit, ses cheveux mouillés plaqués sur son front. Il la trouva le nez contre ses toiles.
— Désolé pour l'accueil, dit-il pour la prévenir de sa présence. La météo a décidé de nous faire une petite blague, on dirait.
— Ne t'en fais pas, murmura-t-elle sans reculer.
Il retira sa veste et passa sa main sur le haut de son crâne, jetant, au passage, un œil furtif au miroir.
— Ton style s'est affirmé avec le temps.
Il hocha la tête et plaisanta :
— Autant que mon caractère de cochon !
— Je suis sûre que c'est faux !
Sans prévenir, un éclat du passé, réminiscence fugace de leur amour, déferla sur Arlette. Il lui était apparu simplement en redécouvrant Richard, les cheveux en bataille. C'était comme un flash, une onde d'exaltation qui lui soufflait de se jeter dans ses bras, comme avant.
Ces retrouvailles lui procuraient un mélange complexe d'émotions qu'elle avait du mal à appréhender. La joie et la gratitude se mêlaient à la nostalgie des souvenirs partagés. Et en même temps, elle ressentait une légère anxiété quant à la façon dont le temps avait pu altérer leur connexion, autrefois si forte. Elle craignait surtout d'être la seule des deux à sentir que le lien spécial qui les avait unis avait survécu à leur séparation.
Gênée par le silence, elle s'éclaircit la gorge en bombant le torse :
— Tu as une très belle maison, en tout cas.
Richard se contenta de sourire et lui intima de s'installer, pendant qu'il préparerait leurs infusions. Elle s'exécuta et tâcha de reprendre une respiration plus régulière et sereine. Les quelques minutes de solitude dans le séjour lui offrirent une pause bienvenue, lui permettant de prendre du recul par rapport à la situation.
La jeune fille qu'elle avait été n'aurait jamais imaginé vivre cette scène. Toute sa vie, elle avait gardé l'image de Richard telle qu'elle l'avait connu : un adolescent fougueux qui se croyait prêt à devenir un homme. Et ce qui était étonnant, c'est que même après avoir découvert sa nouvelle apparence, c'était toujours de cette façon qu'elle le percevait.
Derrière l'arche, Richard demanda :
— J'ajoute une lamelle de citron dans ta verveine, je suppose ?
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Tu as pris ton temps
RomanceEn faisant sa tournée habituelle à travers les rues étroites du village, Lila, infirmière à domicile, rend visite à Arlette Guichard, veuve d'un patient décédé. En plein tri dans sa grande maison, Arlette se fait une joie de partager ses souvenirs d...