Arlette avait bien dormi. Après l'avoir installée dans sa propre chambre, Richard n'avait pas tardé à la rejoindre, prétextant ne pas réussir à trouver le sommeil dans l'antre de ses petits-enfants. Il s'était blotti contre elle. Contre son corps affaissé et fragile. Ensemble, ils n'avaient pas tardé à rejoindre l'univers des rêves, épuisés par les émotions de leurs retrouvailles.
À son réveil, le petit-déjeuner était servi. Un mot l'accompagnait :
Bonjour, tu me trouveras dans mon atelier, au fond du jardin.
À tout à l'heure, Richard.Un sourire naquit sur ses lèvres. Elle fit chauffer de l'eau et grignota quelques biscottes accompagnées de confiture aux abricots du jardin. Un délice ! En attendant que son thé refroidisse, elle se balada de pièces en pièces. Arlette tendit l'oreille au silence, comme si les murs étaient capables de lui révéler ce qu'elle ignorait encore de cette nouvelle version de Richard.
Seule face aux photos de famille, heureuse et unie, la villa lui parut soudain immense et vide. Vide de tout ce qu'Arlette et Richard n'avaient pas vécu ensemble. Tant d'anniversaires, de Noël, de Saint-Jean, passés à se demander si quelque part, sa moitié, son membre fantôme, avait une pensée pour elle.
Sur la table, sa tasse fumante la narguait et la solitude dans cette cuisine glaciale l'engloutit. Elle n'y avait pas sa place. La retraitée poussa un soupir et but d'une traite avant de débarrasser. Occuper ses mains calmait ses pensées, mais c'était trop tard. Les graines du doute s'étaient semées dans son esprit. Elle essaya de les fuir en se faisant belle, sans succès. Il fallait qu'elle en parle à Richard.
Lorsqu'elle poussa enfin la porte de l'atelier, l'odeur familière de la peinture fraîche et de la térébenthine lui souhaitèrent la bienvenue. Une lumière douce, filtrée par une grande verrière, éclairait des toiles de toutes tailles, certaines finies, d'autres à peine esquissées. Un pincement piqua Arlette en plein cœur. Il ne manquait plus qu'un matelas étalé au sol pour qu'elle retrouve leur refuge d'adolescents.
Richard ne l'entendit pas arriver. Il travaillait un grand format avec des gestes précis et mesurés. Arlette resta un moment à l'observer, admirative. Elle remarqua la concentration intense sur son visage, ses sourcils légèrement froncés et la fine pellicule de peinture qui maculait ses mains. Il y avait une grâce dans ses mouvements, une sérénité qui la touchait profondément.
Elle s'éclaircit la voix afin d'attirer son attention. Il se tourna vers elle et la concentration sur ses traits se transforma en bonheur.
— Tu as trouvé mon mot.
Elle acquiesça d'un signe de tête.
— Excuse-moi de te déranger.
— Viens par là. Tu ne me déranges pas du tout.
Il attrapa sa main sans se soucier s'il la tacherait de pigment et l'attira vers lui pour l'embrasser. Son étreinte était un déchirement tant elle était savoureuse. Plus c'est intense, plus le risque d'être déçu est grand.
Arlette sentit une vague de chaleur l'envahir, mêlée à une pointe d'appréhension. Elle savait qu'elle devait parler, mais les mots lui manquaient. Elle se blottit un peu plus contre lui, cherchant du réconfort dans cette proximité
— Tu aimerais que je reste combien de temps ? demanda-t-elle à voix basse entre ses bras.
— Chez moi ou dans cette position ?
Ses plaisanteries prouvaient qu'il était loin de s'imaginer l'état d'esprit dans lequel se trouvait Arlette. Elle esquissa un sourire, mais son cœur n'y était pas. Elle se détacha légèrement pour pouvoir le regarder dans les yeux, espérant y trouver une compréhension instinctive.
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Tu as pris ton temps
RomanceEn faisant sa tournée habituelle à travers les rues étroites du village, Lila, infirmière à domicile, rend visite à Arlette Guichard, veuve d'un patient décédé. En plein tri dans sa grande maison, Arlette se fait une joie de partager ses souvenirs d...