Arlette, 18 ans
Ce soir, la Place de la Comédie est étincelante, vêtue de ses habits de fête. Les vitrines des magasins brillent de mille feux pour attirer les passants en quête du cadeau idéal. Les radios diffusent des cantiques que les enfants reprennent en chœur et les guirlandes lumineuses étreignent les arbres. Marcel les imite en enroulant son bras autour de mes épaules. J'en profite pour déposer un baiser sur sa main gelée.
Il m'a invitée à dîner dans un restaurant qu'il connaît bien, sans m'en dire davantage. Nous marchons jusqu'à bifurquer dans une rue perpendiculaire à la place.
— C'est ici.
La brasserie est bourrée de charme, avec ses nappes à carreaux rouges et blancs et ses chaises en bois patiné lustré. Sous les recommandations de Marcel, nous sommes installés près de la fenêtre.
— J'espère que l'endroit te convient, ma chérie.
— Je n'en demandais pas tant ! C'est parfait.
— Un endroit parfait, pour une fille parfaite.
Je souris timidement et baisse les yeux. Marcel a ce regard intense, celui qui semble scruter mon âme. Parfois, j'ai l'impression qu'il pourrait deviner mes pensées les plus sombres que je tente de faire taire. Je sais où il veut en venir. Je sais qu'il attend le bon moment depuis des semaines. Il veut se lancer, faire le grand saut vers l'amour, plonger dedans et en être tout recouvert. Et moi ? Je recule au maximum. J'ignore si je sais encore nager. Ce n'est pas que je n'aime pas Marcel. Au contraire ! Et c'est bien ça qui me terrifie.
Je détourne l'attention — une fois n'est pas coutume — en changeant de sujet.
— De quoi as-tu envie ? je demande en ouvrant la carte.
— De t'embrasser partout, répond-il avec un sourire qui en dit long.
— Marcel Guichard ! Je ne vous permets pas !
Je vérifie que personne ne nous entende et rajoute :
— Du moins, pas ici.
Nous rions et ma tension s'évapore.
Après un dîner délicieux, nous déambulons dans le centre-ville. Le marché de Noël nous offre ses chalets en bois, chacun présentant des merveilles artisanales, des friandises et des souvenirs.
— Viens, j'ai un endroit à te montrer, dit Marcel soudainement, avec un sourire mystérieux.
Il me guide vers le cœur de la place, où j'aperçois une grande roue illuminée.
— Tu n'as pas le vertige, j'espère ?
Je sens un frisson d'excitation mêlé à une légère appréhension. Mais la curiosité l'emporte et j'accepte. Nous prenons place dans l'une des nacelles et la roue commence son ascension majestueuse. En haut, le monde semble suspendu, la ville à nos pieds resplendit et tout se tait.
La roue s'immobilise quelques instants et je prends conscience du vide sous nos pieds. J'attrape la main de Marcel qui se rapproche de moi pour m'enlacer.
— N'aie pas peur, je suis là.
Il se penche lentement vers mes lèvres, ses yeux ne quittant pas les miens. Mon cœur bat la chamade, chaque fibre de mon être tendue vers cet instant. Le baiser est doux, tendre, et pourtant chargé d'une passion contenue depuis trop longtemps. Ses lèvres sur les miennes, la chaleur de son souffle mêlé au froid de la nuit, tout est parfait.
Ses lèvres abandonnent les miennes, traversent mes joues et murmurent au creux de mon oreille :
— Je t'aime.
Je reste interdite. Il me prend la main.
— Ne te sens pas obligée de me répondre. Je sais bien que ce n'est pas encore acquis et je ne t'en veux pas.
Je hoche la tête, soulagée. La conversation que j'ai eue avec Jacqueline un peu plus tôt fait désormais sens. Quand je me préparais pour rejoindre Marcel, elle a pris d'énormes pincettes pour me demander si je me jetterais de nouveau dans les bras de Richard si par malheur (ou miracle) il réapparaissait. Je lui ai affirmé que non, pensant tout le contraire. Si Richard revient, demain ou dans dix ans, je sais que je quitterai tout pour lui.
Quand j'ai demandé à Jacquie d'où lui venait cette question, elle m'a répondue qu'elle était simplement inquiète pour son frère. Je sais très bien dans quel embarras je la mettrais si je quittais Marcel, alors je l'ai rassurée.
— Si l'amour était une science exacte, ça se saurait et j'aurais beaucoup plus d'assurance dans ce domaine ! reprend-il en riant. Je voulais juste que tu saches ce que je ressens. Parce qu'à force de le garder pour moi, j'avais l'impression que j'allais imploser.
— Ce serait bien dommage, je réponds en souriant.
— Que j'implose ?
— Oui. Qui d'autre me ferait grimper sur une grande roue ?
Il laisse échapper un rire.
— Je pense que les candidats se bousculeraient !
— Peut-être, mais ce n'est qu'avec toi que j'ai envie d'en faire.
Nous redescendons sur Terre lorsque la nacelle s'immobilise avec fracas et je me rends compte que je grelotte. Sans nous concerter, nous prenons la direction de mon appartement. Cette compréhension évidente me plaît, sa timidité m'émeut et si je dois être honnête envers moi-même, l'unique bride qui retient encore mon cœur d'aimer est l'infime espoir de revoir Richard.
Mais ne suis-je pas en train de perdre du temps ? Est-ce que cet espoir n'est pas vain ?
Marcel prend mon visage entre ses mains et m'embrasse.
— Marcel ?
— Oui ?
— Moi aussi, je t'aime.
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Tu as pris ton temps
RomanceEn faisant sa tournée habituelle à travers les rues étroites du village, Lila, infirmière à domicile, rend visite à Arlette Guichard, veuve d'un patient décédé. En plein tri dans sa grande maison, Arlette se fait une joie de partager ses souvenirs d...