Chapitre 04 - L'adieu à Félix

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— La prochaine fois qu'on prévoit un après-midi shopping, rappelle-moi d'acheter du noir, s'il te plaît !

Tout en s'habillant, Lila en avait profité pour appeler sa meilleure amie. Elle avait enfilé son éternelle robe noire cintrée et ajustait ses collants. La voix vibrante d'Aimée résonna à travers le haut-parleur du téléphone, jeté au hasard sur le lit, entre les oreillers.

— Pourquoi noir ? C'est triste à mourir !

— À juste titre, souligna Lila, j'ai encore perdu un patient.

— Oh, je suis désolée, ma Lilou ! Toi, ça va ?

— Oui. Malheureusement, je commence à avoir l'habitude, mais je ne m'y attendais pas. Je l'ai vu encore l'autre jour au bar et tout allait bien !

Félix Lecullier, caché derrière sa moustache et sa casquette irlandaise, était un homme bien. Lila s'amusait du décalage entre son phrasé bourru et son allure. Toujours tiré à quatre épingles, il la recevait comme une reine lorsqu'elle arrivait pour lui faire ses prises de sang régulières. Félix faisait attention à son alimentation, allait marcher tous les jours et ne fumait pas. Il mettait également un point d'honneur à faire les contrôles médicaux recommandés. Seul son dos de maçon à la retraite le faisait souffrir. Pourtant, un soir, il s'endormit dans son lit, pour ne plus jamais se réveiller. Le médecin avait conclu qu'il s'agissait probablement d'une rupture d'anévrisme.

Afin de changer les idées de l'infirmière, Aimée se lança dans un descriptif détaillé de sa séance de team building de la veille. Lila lui en fut reconnaissante, elle l'avait appelée exactement pour ça. Le plan de la Réunionnaise en vue de conquérir sa nouvelle cible s'était soldé par un échec cuisant. Malgré les regards insistants, le déhanché sexy pendant la soirée de cohésion et les perches peu subtiles qu'elle lui avait tendues, le bel Écossais n'était toujours pas réceptif à ses appels de phare.

— Lewis n'aime peut-être pas les femmes, conclut Aimée, peu habituée à devoir se montrer si entreprenante.

— Aimée ! s'exclama Lila en riant. Il est peut-être en couple, voire marié avec des enfants ! Je comprends que ça puisse être un choc pour toi, mais pas tous les hommes de cette planète ne succombent systématiquement à ton charme.

— C'est très violent, ce que tu me dis là.

— Il faut bien que tu nous en laisses un peu, non ? À nous, les filles banales.

— Je n'ai pas dit mon dernier mot, s'enhardit Aimée. Et arrête. T'es loin d'être banale !

Lila n'avait ni le temps, ni l'envie de riposter et d'expliquer à Aimée qu'il fallait bien se rendre à l'évidence : elle n'avait rien d'extraordinaire. Certains jours, elle se sentait bien dans sa tête et dans son corps. Puis d'autres, comme celui-ci, son moral était en berne et les mots de Raphaël refaisaient surface : "Tu as encore faim ? Tu sais, ma chérie, c'est pour toi que je dis ça, tu te sentirais mieux en faisant du sport".

Mais voilà, Lila n'aimait pas le sport. Et avant lui, ça ne lui avait jamais semblé être un problème. Depuis qu'elle le fréquentait, elle s'était mise à surveiller ses cuisses et ses fesses chaque matin dans le miroir. Elle espérait qu'elles finiraient par s'affiner d'elles-mêmes, comme par enchantement. Ses cheveux ni blonds, ni roux, sans texture, avec un volume approximatif, pouvaient également être source d'angoisse, tout comme son nez un peu trop rehaussé ou sa peau pas assez lisse.

Elle laissa donc couler la discussion avec Aimée, en se contentant d'acquiescer. Elle finit par se détendre et rire de bon cœur, en écoutant les complaintes mélodramatiques de sa meilleure amie. Heureusement que Lila pouvait compter sur elle lors de ses petits coups de blues, même si elle ne pouvait pas directement divulguer la raison principale de son mal-être.

Tu as pris ton tempsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant