Richard Sebastiani s'agitait dans son potager. Il bêchait la terre afin d'aligner ses pieds de tomates toujours au même endroit, entre les fèves et les laitues. Le jardin de la villa n'était pas immense, mais suffisant pour faire pousser quelques légumes qui ravissaient ses papilles, ainsi que celles de ses enfants et petits-enfants. Ainsi commençaient ses journées de retraité : par ces moments intimes avec la nature, en compagnie du coucou et des hirondelles, de nouveau installés en Provence avec l'arrivée des beaux jours.
Le soleil tapait déjà fort et Richard décida de rentrer. Si par malheur, il attrapait une insolation, il verrait ses filles rappliquer et subirait leurs remontrances. Depuis qu'il vivait seul, elles n'arrêtaient pas de le tanner de recommandations. Il avait notamment pour ordre de toujours garder son téléphone portable près de lui, "au cas où". Comme s'il était sénile et impotent ! De toute façon, il avait suffisamment avancé pour aujourd'hui.
Il rangea son sécateur, sa bêche et son râteau dans la remise avant d'être interpellé par la factrice depuis la route :
— Monsieur Sebastiani ! J'ai du courrier pour vous !
— Oui, oui, j'arrive.
Il tambourina ses mains sales sur son pantalon de travail et s'avança jusqu'à la haie verdoyante qui séparait son jardin de la voie communale. Il récupéra les quelques lettres que la jeune femme lui tendait par-dessus les plantes en la remerciant. C'était devenu leur petit rituel. Au moins, il n'oubliait plus son courrier dans la boîte aux lettres pendant des jours !
Dans ce quartier résidentiel de la périphérie d'Aix-en-Provence, l'ambiance était paisible et le voisinage plutôt aimable. De nombreux séniors avaient investi dans de jolies villas avec jardin et chacun pouvait profiter de la proximité des commerces tout en profitant du calme.
Il était temps de prendre une douche avant d'entamer la deuxième partie de sa matinée. Le retraité retira ses bottes sur le paillasson, déposa le courrier sur le meuble d'entrée sur un tas de paperasses déjà épais et se dirigea directement vers la salle de bain. Il se déshabilla et lança une machine de linge, en se fiant au post-it laissé par Lucie, sa cadette. Même si le divorce datait de bientôt quinze ans, il n'arrivait toujours pas à intégrer le fonctionnement de ce maudit lave-linge.
Il se planta devant le miroir et de façon machinale, appliqua de la mousse à raser sur le bas de son visage et son cou, avant de faire onduler le rasoir. Il n'y avait pas un jour où il ne se rasait pas de près, une vieille habitude héritée de sa carrière dans l'armée.
Une fois dans la douche, il ouvrit le mitigeur et laissa l'eau couler, appréciant la fraîcheur qui enveloppait son corps fatigué. Les gouttelettes d'eau ruisselaient le long de ses bras, effaçant les traces de terreau qui s'y étaient incrustées. Il avait entendu dire que le froid conservait et avait abandonné l'eau chaude petit à petit.
Une serviette autour des hanches, il se badigeonna d'après-rasage et coiffa ses cheveux argentés vers l'arrière, à l'aide d'un peigne fin. Il enfila un jean, un large t-shirt abîmé et se dirigea vers son antre. Ce qui avait surtout séduit Richard à l'époque où il avait acheté cette maison avec sa femme, c'était qu'elle disposait d'une dépendance.
Il y avait installé son atelier, son refuge depuis de nombreuses années, un espace dans lequel son esprit créatif s'épanouissait. Il était composé d'une pièce centrale où tout un tas d'objets insolites étaient exposés avec, au fond, un local doté d'une salle de bain, afin de pouvoir rester en autarcie de longues heures. Les étagères étaient remplies de ses créations, mais aussi celles de sa petite-fille, Chiara, la seule à avoir hérité de sa fibre artistique.
Alors qu'il s'installait devant son chevalet, l'artiste attendit quelques instants immobile, comme un magicien qui sentirait son pouvoir bouillonner en lui avant de jeter un sort. Il toisait la toile vierge face à lui et pourtant, rien ne se produisit. D'habitude, c'était comme s'il fermait les écoutilles, il se retrouvait alors dans sa bulle, en marge de tout le reste.
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Tu as pris ton temps
RomanceEn faisant sa tournée habituelle à travers les rues étroites du village, Lila, infirmière à domicile, rend visite à Arlette Guichard, veuve d'un patient décédé. En plein tri dans sa grande maison, Arlette se fait une joie de partager ses souvenirs d...