Chapitre 16 - La lettre

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Ma pâquerette,

Tout d'abord, je vais bien. Cette lettre a tardé car mon comportement m'a valu plusieurs semaines de cachot et personne n'était disposé à m'autoriser à t'écrire. Je m'excuse sincèrement de ne t'avoir rien dit, mais ne t'en fais pas, je t'expliquerai tout à mon retour.

Je sais, j'aurais dû t'en parler, mais je voulais te protéger de l'inquiétude que cette annonce aurait pu causer. Égoïstement, je voulais que nos moments ensemble soient beaux, heureux, loin de la tristesse ou de la peur. J'espère que tu me pardonneras et s'il te faut du temps, je comprendrai.

La vie ici est difficile, plus que ce que j'imaginais. Mais je veux que tu saches que je pense à toi constamment et que tu es ma force pour traverser les épreuves du quotidien. Quand je ferme les yeux, je peux encore sentir ta présence près de moi.

Ma pâquerette chérie, je veux que tu saches combien je t'aime et combien tu me manques. Chaque pensée, chaque souffle, chaque battement de mon cœur t'appartient. Je sais que cette séparation est douloureuse, que le temps pourra te paraître long, mais qu'est-ce que quelques mois comparés à une vie entière passée à nous aimer ?

Je te promets de revenir sain et sauf. Ce que je t'ai dit le soir où l'on s'est aimés, je le pense du plus profond de mon âme : je te veux pour épouse. N'en doute jamais.

Prends soin de toi, mon amour. Sois forte et garde espoir. Je t'aime comme je n'ai jamais aimé et comme je n'aimerais qu'une fois.

Je t'embrasse tendrement,

Richard, Ton cœur de lion

*

Arlette avait relu la lettre de Richard des dizaines de fois. Elle tenait dans ses mains ce qu'à une époque, elle avait attendu durant des mois, voire des années, et qui ne lui était jamais parvenu. Richard lui avait écrit. Il ne lui avait pas menti. Certes, il lui avait caché avoir été appelé pour l'Algérie, mais c'était parce qu'il espérait trouver une solution pour rester auprès d'elle.

Arlette avait honte de ce qu'avait osé faire Jacqueline, honte de ce qu'elle-même avait pu penser de Richard alors que pendant ce temps-là, il l'aimait comme un fou. Mais la question principale qui l'avait hantée toute sa vie fut éludée par tout un tas d'autres interrogations. Que s'était-il passé lorsqu'il était rentré de la guerre ? Qu'avait-il fait de sa vie à son retour  ? Avait-il appris pour son mariage avec Marcel ? En avait-il souffert ? Peut-être avait-il cru qu'Arlette avait tenu parole, que puisqu'il était parti, elle avait décidé de le quitter ?

Après plus de cinquante ans d'attente, c'était au tour de Richard d'obtenir des explications. Arlette en était désormais convaincue : il était temps que cette histoire se libère de ses silences et de ses moments volés. Mais comment rédiger une lettre à son premier amour lorsqu'on a soixante-dix-huit ans ?

L'ancienne couturière prit place devant son secrétaire en merisier, ouvrant la tablette d'écriture avec une solennité presque sacrée. Du papier à lettre fut soigneusement disposé à côté d'un bloc-notes à carreaux, tandis que son stylo fétiche, d'un blanc éclatant rehaussé d'or, patientait dans son étui. Une éternité s'était écoulée depuis qu'elle n'avait plus écrit à la main, même si elle s'adonnait parfois aux mots croisés. Mais aujourd'hui, au-dessus de ces petits carrés, ses doigts tremblaient.

Son écriture, jadis ronde et voluptueuse, s'était transformée en une danse capricieuse de traits hésitants, comme si les souvenirs se dévoilaient avec une délicate fragilité. Cette évolution n'était pas seulement le résultat du passage inexorable du temps, mais aussi le reflet de l'émotion qui l'envahissait.

Tu as pris ton tempsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant