Novembre 1959

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Arlette, 16 ans

— Les amis, j'ai une grande nouvelle, annonce Richard, le torse bombé. Grâce aux quelques francs que j'ai mis de côté, j'ai pu racheter la vieille cabane près de la rivière. C'est l'endroit idéal pour installer mon atelier.

— Ce vieux bougre a fini par accepter ton offre ? intervient Félix, en faisant allusion au pêcheur grincheux qui avait laissé sa tanière à l'abandon.

— C'est fantastique, Richard !

Je tape des mains et lui embrasse la joue.

Cela fait quelques semaines que Richard a été embauché chez un distributeur de tabac et il est payé à la commission. Son contact facile et son air d'enfant de chœur lui ont permis d'acquérir une belle somme en un rien de temps. Son art lui rapporte également un joli complément : le dimanche matin, il vend ses tableaux et propose des portraits aux passants sur le marché.

— Et je compte sur mon plus vieil ami pour m'aider à donner un petit coup de frais à ces ruines !

Richard fait un clin d'œil à Félix qui hausse les épaules et répond :

— J'crois que j'ai pas l'choix.

Félix a commencé à travailler avec son père en tant qu'apprenti maçon. Il a le sens de la construction et se montre très méticuleux lorsqu'il s'agit de travaux. Nous avons pu le constater sur plusieurs chantiers qu'ils ont effectués dans le village : une fontaine sur la place principale, un dallage en pierres devant l'entrée de la mairie et une maison pour une des familles les plus riches des environs. Il sera d'une aide précieuse pour Richard.

— Tu nous montres ? propose Jacquie.

Je suis à la fois surprise et heureuse qu'elle s'intéresse au projet de Richard, elle qui lève toujours les yeux au ciel lorsqu'il parle de ses œuvres. Elle dit qu'artiste ce n'est pas un vrai métier et que, puisque nous devenons adultes, il ne s'agit plus de rêver à une vie de bohème. Peut-être que mon insistance auprès d'elle pour qu'elle se montre plus ouverte finit par payer ?

— Allons-y, s'exclame Richard, tout aussi étonné par son engouement.

La forêt sent bon l'automne : mélange de sapin, de champignons, de terre humide et de châtaignes prêtes à s'extraire de leurs bogues. Le ciel est gris, mais lumineux. C'est une ambiance que j'aime particulièrement sans que je ne sache pourquoi. J'attrape la main de Richard et nous continuons à avancer selon ses instructions.

Nous apercevons finalement une petite cabane en bois, dont le toit s'est partiellement effondré. De la mousse a poussé sur ses parois et la porte est complètement enfoncée. Le verre brisé de l'unique fenêtre est la touche finale de ce tableau pitoyable.

— C'est magnifique, n'est-ce pas ?

Richard, poings sur les hanches, est fier de nous montrer cet amas de bois en décrépitude. Face à nos mines déconfites, Félix se racle la gorge et commence à faire le tour de la cabane, ses doigts caressant sa moustache :

— Disons qu'il y a pas mal de boulot... J'sais pas si tu pourras récupérer toutes les planches, certaines me semblent rongées par les termites. Mais c'est pas bien compliqué. Ensuite, faudra rattraper la toiture, raboter la porte et fabriquer une nouvelle fenêtre. Je pense qu'il y en a pour quelques semaines si on s'y met tous les deux.

— Ce sera parfait !

Je montre mon enthousiasme comme je peux et tente de masquer mes doutes face à leur plan qui me paraît, pour l'instant, ambitieux. Jacquie acquiesce en secouant la tête lorsque Richard se tourne vers nous. Il a l'air si heureux !

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