Comme d'habitude depuis deux semaines maintenant, Lila poussa la porte de l'Épicerie Gourmande, faisant chanter la clochette d'entrée. La nuit était déjà tombée sur le petit village et, dans les ruelles désertes, on percevait l'effervescence à l'intérieur des foyers. Ces moments-là faisaient partie de ses favoris. L'odeur réconfortante des bûches se consumant dans les cheminées réchauffait l'air glacial. Les habitants se préparaient à passer à table, la lumière bleutée des téléviseurs débordait des fenêtres aux volets restés ouverts et on n'entendait plus que quelques bruits feutrés.
L'épicerie, quant à elle, demeurait éclairée, bien que les étalages de fruits et légumes soient déjà rangés. Derrière le comptoir, Johan se tenait prêt à fermer boutique.
— C'était moins une ! s'écria-t-il en apercevant Lila. Cette fois, tu as bien failli trouver porte close !
Johan pointa sa montre d'un doigt accusateur tout en révélant son sourire chaleureux. Il se pencha au-dessus du comptoir et tendit son poing fermé vers sa cliente. Lila, essoufflée de s'être dépêchée, s'approcha en trottinant et le tapa avec douceur, avant de se confondre en excuses :
— Désolée, les patients n'étaient pas très coopératifs ce soir ! Certains ne voulaient pas faire leur toilette, d'autres avaient besoin de parler ou négociaient des petits médocs en plus pour dormir...
Johan se gratta la barbe et admit sans détours :
— Je n'aurais jamais pu faire ce métier.
Un rire humble s'échappa des lèvres de Lila, habituée aux commentaires similaires et parfaitement compréhensibles.
— J'avoue que ce n'est pas fait pour tout le monde, mais ce n'est pas si terrible ! On s'habitue à tout ! déclara-t-elle avant de secouer vivement la tête. Excuse-moi, je parle, je parle, j'oublie que tu as sans doute envie de rentrer chez toi ! Et si tu dois répondre, ne te gêne pas pour moi...
Lila désigna de la tête le téléphone de l'épicier qui s'allumait de façon répétée. Il y jeta un œil sévère, avant de couper la sonnerie. Les yeux plissés de l'infirmière trahirent sa perplexité. Johan perçut ses questionnements et lui assura de sa voix grave, mais rassurante :
— Ce n'est pas urgent, on a tout notre temps.
Lila déglutit. Elle se baissa et parcourut rapidement la vitrine du regard, tout en replaçant quelques mèches blondes derrière ses oreilles :
— Ce soir, je vais tenter le poulet coco curry, avec un peu de riz, s'il te plaît.
— Très bon choix.
Pendant qu'il préparait sa commande, le téléphone de Johan se remit à clignoter. Il n'y prêta aucune attention. Lila haussa les épaules et demanda comme si de rien n'était :
— Du coup, tu n'as pas trouvé de logement dans le coin ?
Il essuya les quelques gouttes de sauce qui avait coulé sous la barquette, avant de la placer sur la balance. En collant l'étiquette, il posa son regard chocolat sur l'infirmière.
— Non, ça ne me dérange pas de faire les allers-retours en ville, expliqua-t-il. Je me lève tôt, c'est vrai. Mais pour l'instant, ça va, je tiens le rythme !
— Si tu veux, je pourrais demander à mes patients si quelqu'un loue un appart ?
— Oh non, ne t'inquiète pas, j'ai quelques pistes...
Ils effectuèrent le paiement en silence et Lila se retint d'insister. Peut-être n'avait-il pas envie de déménager ? Peut-être avait-il engagé de nombreuses dépenses pour ouvrir son magasin et que, pour l'instant, il ne pouvait pas se permettre de louer un appartement ?
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Tu as pris ton temps
RomanceEn faisant sa tournée habituelle à travers les rues étroites du village, Lila, infirmière à domicile, rend visite à Arlette Guichard, veuve d'un patient décédé. En plein tri dans sa grande maison, Arlette se fait une joie de partager ses souvenirs d...