Chapitre 25 - Le retour du printemps

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Tout était en place en prévision de l'arrivée imminente de Richard. Les fenêtres de la maison aux volets verts laissaient entrer l'air matinal déjà chaud, pendant qu'Arlette changeait ses draps. Dans la chambre d'amis, la montagne d'affaires attendait toujours d'être triée et débarrassée. La maîtresse de maison s'était résignée face à la charge de travail et s'était finalement rendue à l'évidence : Richard dormirait avec elle, dans son lit. Elle s'était contentée de passer un coup d'aspirateur et de fermer la porte de ce qui lui servait de débarras.

Alors qu'elle enfilait les taies d'oreillers au motif liberty, son regard s'attarda sur le cadre posé sur sa table de chevet. La photo qui datait de son mariage avec Marcel lui provoqua un pincement au cœur. Malgré le retour de Richard, malgré les années qui étaient passées depuis son décès et malgré sa furieuse envie de vivre, l'absence de son mari était encore partout. Qu'elle était difficile à appréhender, cette ambivalence de sentiments ! Le manque de l'un, les retrouvailles avec l'autre, il y avait de quoi s'y perdre.

La situation de Richard était différente. Sa séparation avec sa femme datant depuis plusieurs années, les photos et autres souvenirs étaient probablement au fond d'un grenier, voire à la poubelle. Arlette n'avait aucun doute sur la capacité de son Cœur de lion à faire la part des choses, même si les images de sa vie sans lui risquaient d'être des témoins indésirables, porteurs de souvenirs qu'il préférait ne pas raviver.

Avec une délicatesse teintée de résignation, Arlette saisit la photographie et la caressa, enlevant au passage la fine particule de poussière qui ne tardait jamais à se déposer, malgré son ménage quasi quotidien. Marcel ne méritait pas d'être rangé dans un tiroir. Elle ne le laisserait pas non plus en évidence, près de l'endroit où elle dormirait auprès d'un autre. Après avoir reçu un baiser, la photographie fut reléguée sur une étagère de choix, dans la bibliothèque du salon.

En fin de matinée, le crissement des graviers de l'allée annonça que quelqu'un était en approche. À travers la fenêtre de la cuisine, Arlette reconnut la voiture qui l'avait conduite jusqu'à la maison aixoise qui l'avait hébergée. Bondissant d'impatience, elle abandonna son tablier sur le panier à linge sale et se précipita vers l'entrée.

Elle observa cette silhouette familière ouvrir sa portière et se mettre debout afin d'étirer ses lombaires douloureuses. Elle lui fit de grands signes lorsqu'il lui adressa un sourire radieux et l'accueillit à bras ouverts lorsqu'il monta la rejoindre sur le champ. Sa valise délaissée dans le coffre ouvert pourrait bien attendre quelques minutes supplémentaires. Richard grimpa les escaliers comme s'il volait. Il balaya les environs déserts du regard et, seul face à Arlette, l'embrassa avec ardeur. Elle s'abandonna dans ses bras, priant pour que son cœur réussisse à tenir la cadence.

— Bonjour, toi, souffla-t-il dans son cou avant de s'écarter. Si tu permets, je reviens.

Il redescendit les escaliers et remonta finalement avec ses affaires. Avec le rire d'Arlette en comité d'accueil, ce fut à son tour de découvrir un foyer dans lequel il n'aurait jamais cru être invité. La cuisine et son fumet alléchant, la véranda et sa vue imprenable sur la nature, le séjour et sa bibliothèque... Cette dernière retint l'attention de Richard, comme s'il sentait qu'elle voulait lui cacher quelque chose. Un sourire se dessina sur son visage tandis qu'il parcourait les photos encadrées.

— Maintenant que je le vois, je me souviens de sa tête, déclara-t-il en faisant allusion à Marcel. Et toi... Tu es restée fidèle à toi-même toute ta vie : toujours très belle et unique.

Un léger fard empourpra les joues d'Arlette. Dans une pensée commune, ils se demandèrent l'espace d'un instant comment aurait été leur bibliothèque si la vie avait été écrite autrement. Le genre de pensées desquelles on ne peut jamais tirer de véritables conclusions.

Tu as pris ton tempsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant