Chapitre 18 - Michaël « Courir »

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Ma respiration se cale sur mon souffle régulier. Je foule le bitume depuis quelques minutes pour rejoindre un parc non loin de chez moi. Il a l'avantage d'entourer un grand lac artificiel et de couvrir plusieurs hectares. De quoi diversifier les parcours pour les coureurs amateurs ou aguerris tel que moi. Je me suis levé plus tôt que les autres jours. Mon sommeil agitait et mes nombreuses remises en questions tournoyaient en boucle dans ma boîte crânienne. Pris dans un étau de pensée, je ne voyais qu'une seule échappatoire, la course.

J'augmente le rythme des foulées pour m'éloigner le plus possible de la circulation de la ville. Je passe le portail du parc non sans prendre au passage une bonne respiration. J'aperçois au loin le soleil se lever. La vue est sublime mais je ne perds pas plus de temps à la contempler. Courir de chez moi à ici n'était qu'une mise en bouche, le vrai travail commence maintenant. Je tâtonne sur le chemin à emprunter. Je ne connais pas encore bien le coin, je balaye de droite à gauche mon environnement du regard. Vu mon état émotionnel, j'opte pour une route plus sinueuse, avec des montées et des descentes abruptes. Plus, j'aurai des difficultés, plus mon cerveau mettra toute son énergie dans la tâche, moins je m'interrogerai sur toutes ses prises de tête qui polluent mes nuits. J'enclenche les mesures de ma montre, j'entame mon ascension. Je ne dois pas accélérer vite, je le sais bien. Si je veux tenir le plus longtemps possible, se concentrer sur mon souffle semble être le plus judicieux. Mes jambes semblent n'en faire qu'à leurs têtes, elles me poussent à courir toujours plus vite. Je ne donne pas cher de ma peau demain quand je sentirai les effets de cette course endiablé. Mes muscles se feront une joie de me le rappeler. Au diable les douleurs, j'en ai besoin. Je le perçois pourtant se feu qui monte dans mes poumons à mesure que mon allure augmente la cadence. Cette torture du corps sur l'esprit, celle qui malmène lors des premières minutes. C'est comme être au bord d'une falaise, se sentir pris de vertige, tout nous tourne, les fourmis nous montent à la tête et pourtant on saute. Oui, courir me fait cet effet, cet adrénaline me donne envie de sauter à mon tour dans le vide. Libérer mon corps dans l'épuisement, se dépasser pour enfin sentir se souffle nouveau. Celui de la renaissance, un plaisir saisissable qu'on attrape au vol. Je le ressens, il n'est pas bien loin. Bientôt la souffrance laissera place à la libération. Mes pieds font corps avec la terre, ils avancent dans un but plus neutre, plus apaisant. L'agressivité qui me ronge se dissous comme neige au soleil, je ne pense plus qu'à mon objectif. Je concentre ma force dans l'envie de coordonner ma respiration et mes mouvements. Je me focalise sur le paysage qui m'entoure, je tends l'oreille aux bruits de la nature. Les canards cancanent en espérant qu'un passant leurs apportent quelques miettes de pain.

- Désolé les gars, le pain c'est très mauvais pour vous, il faut juste un réveil de la population.

Oui, je parle aux canards et non je n'ai pas honte. Je poursuis mes efforts, je m'éloigne un peu plus de l'eau pour rentrer en profondeur dans les sentiers de la forêt. Une descente plus pointue m'oblige à ralentir le rythme, je positionne mes pieds de biais pour éviter de glisser et de perdre l'équilibre. Cet effort vide un peu plus mon âme torturé, je discerne les biens faits de mes poussées dans le creux de mes entrailles. Tout se libère, mes élancements aux muscles, mes inconforts disparaissent. Je me dilue dans la pensée de pleine conscience, certaine cherche à revenir mais je ne les chasse pas. Je les laisse me transpercer telle l'épée dans son ennemie. Je n'essaie pas de la comprendre, je suis trop concentrer à fendre l'air. Sans m'en rendre compte, j'arrive à mon point de départ, l'apaisement ressenti ne se mesure pas ni se quantifie. Je suis bien, vivant et heureux. Je pratique quelques exercices d'étirements avant de revenir vers mon appartement d'une démarche plus détendue.

Un peu à l'ouest comme un drogué ayant reçu sa dose, je n'entends pas que quelqu'un héler mon prénom. Cette personne traverse en trombe le trottoir puis arrive à ma hauteur et se positionne devant moi. Je reconnais toute suite Philipe mon ami.

Notre monde tourne à l'envers.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant