Chapitre 10 Benjamin « Une vie toute tracée»

34 10 17
                                    


Le claque des touches résonnent, je souffle face à cette tâche rébarbative, tout en tapant de manière frénétique sur le clavier de mon ordinateur, de nombreux e-mails attentent leurs réponses. Chaque minute de mon temps est précieux, je le sais. Gravir l'ascension, pousser le travail toujours plus haut, accentuer les bénéfices de ma société, tel est mon crédo. J'ai travaillé sans relâche pour avoir la chance d'être assis sur ce fauteuil en cuir. Je clique avec ma souris sur le message suivant. Mes pensées sont ailleurs, toutes ses heures intensives à modeler mon empire, au détriment de ma vie familiale s'expose par flash dans ma mémoire. Un seul visage pourtant s'impose à moi, celui de cette femme conciliante qui m'accompagne depuis toutes ses années. J'ai la chance d'avoir une épouse extraordinaire, sans elle, ses sacrifices seraient vains. Son sourire, mon moteur, elle m'offre la possibilité de frôler la perfection, sans me tenir rigueur de toutes ses heures ou je la laisse seule. Elle gère d'une main de maître notre foyer, m'accueille avec amour avec ce rituel que j'aime tant. Son nez vient frotter le mien dans un geste tendre, délicat, clin d'œil aux bisous esquimau qu'on se faisait lors des débuts de notre relation. A cette pensée, je touche de mon doigt le cadre photo noir posé près de l'écran, de mon index, je glisse sur les traits fins de ma moitié. Face à ce portrait, la lumière de bonheur m'irradie tout entier. Je me souviens comme si c'était hier de cette image volée prise avec mon téléphone. Un instant gravé dans l'attrape rêve de nos souvenirs. Nos vacances en Islande, face à la mer, un décor sublimé par cette créature magnifique, enveloppée dans son pull angora bleu ciel. Je ne me lasserai jamais de revivre cette joie d'être ensemble, un répit dans mon travail ou je prends le temps de la contempler.

A part cette photographie personnelle, cette pièce manque de décoration. Au centre, siège mon grand bureau en acajou. Sur le pan de mur le plus long, j'ai disposé un canapé deux places simples vert olive, afin de recevoir mes auteurs dans une ambiance plus chaleureuse. A côté de lui, ma femme a voulu apporter une touche de verdure. Alors, j'ai acheté un ficus. Sur les murs derrière ma chaise de bureau, il y est accroché une seule affiche. Celle du premier roman publié sous le nom de ma maison d'édition. Le témoin particulier d'une première fois réussie. Pari osé au départ, un thème sortant des codes, m'éloignant de l'univers trash de mes concurrents. Le sexe comme moyen pour vendre toujours plus, bien loin de mes valeurs morales. Alors j'avais décidé de m'éloigner des sentiers déjà arpenté par les autres structures éditoriales. Je me suis consacré au début, sur des histoires vraies. Avec comme thème principal la santé. Des inconnus, ou leurs proches frappés par la maladie, traçant leurs parcours tumultueux sans cadeau ni répit. Cependant, malgré ses circonstances dramatiques, ils ont trouvé l'amour. On a étendu ce domaine ensuite aux aventures amoureuses incroyables, celles digne des contes de fées, elles méritaient d'être romancées. Les lecteurs étaient au rendez-vous, notre notoriété s'est faite au fur et à mesure du temps. Une catégorie particulière a émue le public, des familles d'anciens combattant, réunissant de vieille correspondance afin d'en écrire un joli livre. Permettant à tous de faire notre devoir de mémoire, de ne jamais négliger cette période si difficile de notre patrimoine Français.

Je repense à ce premier livre publié sous notre nom « Pour ne pas vous oublier ». La chronique touchante d'une jeune femme de quarante ans atteinte par la maladie d'Alzheimer. La souffrance d'un mal silencieux, l'apparition des symptômes, son combat pour conserver les traces de sa vie. Ne jamais se débarrasser de l'essentiel, son mari et leur fils. Elle notait tout dans un journal intime, sa jeunesse, leur rencontre, la naissance de leur enfant. Jusqu'à l'arrivé soudaine, bouleversante, de cette atteinte aux neurones cérébrales. Déjà poignant, la deuxième partie du roman offrait le point de vue de son compagnon. Après le décès de sa femme, je faisais sa connaissance un peu par hasard. Au fil de notre conversation, j'ai découvert le drame qui l'avait frappé de plein fouet. Emu, il me permettait de lire, les écrits de son épouse. Avec son accord et sa plume, un livre a vu le jour. Très fière du succès de l'ouvrage, heureux d'avoir offert à mon ami un dernier cadeau d'Audrey aux deux hommes de sa vie. Gage sacré d'une mémoire qui ne s'effacera jamais.

Notre monde tourne à l'envers.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant