24 - Depuis ce fameux jour

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       2003

       Un jeune homme a l'air flegmatique, des cheveux courts et bouclés d'un blanc captivant, jouait avec un pic à yakitori entre ses lèvres tout en déambulant sans but précis dans les rues de Kabukichō. Il s'arrêta à l'orée de l'une d'elles pour s'allumer une cigarette, juste en face de la grande place de Toyoko. En tirant une latte, son regard se posa sur les nombreux groupes de collégiens qui traînaient là. Les Toyoko Kids.

       Les enfants fugueurs connaissaient bien cet endroit. Certains venaient juste traîner avec les habitués, sans doute à la recherche d'une décharge d'adrénaline en défiant la sacro-sainte autorité de leurs parents. Ceux-là n'étaient pas en totale perte de repère. Ils se contentaient de discuter avec leurs nouveaux amis ou partaient jouer sur les bornes d'arcades. Et puis il y avait les autres. Ceux qui fuyaient leur famille en quête d'une vie prétendument « meilleure », sans vraiment savoir à quel quotidien ils allaient être confrontés.

       Wakasa tira une nouvelle bouffée en les observant une dernière fois, puis il traversa la place. Les gamins semblaient s'amuser entre eux, mais ce n'était qu'une façade. Une fragile illusion dissimulant leur précarité. Wakasa n'était pas dupe. La nuit, à la lueur des sources de lumières criardes des enseignes, ces gosses seraient vulnérables.

       Des éclats de voix attirèrent son attention. Près d'une ruelle menant à des hôtels plus ou moins mal famé, un homme tenait fermement le poignet d'une jeune fille tandis qu'une autre venait de lui frapper le genou. L'homme grimaça avant de donner un coup sec sur le bras de la gamine pour l'entraîner dans la rue.

       Les sourcils froncés, Wakasa s'approcha à grandes enjambées, les mains dans les poches. La plus petite des gamines, aux cheveux noirs mi-longs, attrapa la main de son amie et s'écria :

— Lâche-la, vieux con !! On s'en fout de l'argent !!

— Écoute, ta copine a dit oui, je vous ai payé votre hôtel pour trois jours, elle va me suivre bien gentiment !

— Je vais te faire bouffer tes couilles, connard !

       La petite s'élança sur lui, mais l'homme lui retourna une grande claque qui la fit vaciller.

— Jade !!

— Allez, on y va.

       À ce moment, une poigne ferme se posa sur l'épaule de l'homme. Il se retourna et baissa la tête, avant de plisser ses petits yeux.

— C'est ta gamine ? demanda Wakasa.

— Quoi ? Non, répliqua sèchement l'homme en dégageant son épaule. Casse-toi morveux, il y a assez de choix pour tout le monde sur cette place.

— T'as l'air d'être père de famille le vieux, t'as pas honte ?

— De quoi j'me mêle ? demanda-t-il en le toisant de toute sa hauteur.

       Sans broncher, Wakasa l'empoigna par le col et lui éclata son poing dans le nez. Les deux filles sursautèrent face à la violence de ce geste. Une giclée de sang s'écrasa au sol, suivie par une masse qui se tenait le nez en gémissant. Wakasa le repoussa d'un coup de pied et appuya son épaule pour le renverser. L'homme tremblait comme une feuille. Wakasa se pencha, puis plongea sa main à l'intérieur de sa veste pour en sortir son portefeuille, duquel il retira quelques billets.

— C'est pour les intérêts. Que j'te vois plus racoler des gosses, c'est clair ?

       Le quarantenaire hocha vigoureusement de la tête, et Wakasa relâcha sa prise, à la recherche des deux filles, mais elles avaient déjà pris la fuite. Il observa les billets dans sa main, penaud, avant de les fourrer au fond de sa poche, puis entreprit quelques minutes de retrouver les enfants, en vain.

IzanamiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant