Izanami

70 - Le fil du destin

       Mikey grogna, secoué par la brusque embardée de la voiture. Shin'ichirō poussa un juron, puis, à nouveau, seul le bruit du ronronnement du moteur, du faible volume de la radio et du souffle régulier d'une respiration, combla le vide. Entre ses doigts, une petite main demeurait lovée. Sa chaleur avait accompagné son sommeil agité, peuplé de démons, de glace, mais aussi de quelques éclats de lumière.

       Le jeune homme ouvrit enfin les yeux et posa son regard sur la femme à ses côtés, allongée sur la banquette arrière de la voiture. Son visage endormi, dénué de toute marque de souffrance, réchauffa un instant son cœur. Aucune trace de décomposition, de brûlures, d'engelures ou d'autres sévices ne marquait son corps.

       Après de longues minutes à la contempler, Mikey laissa ses doigts écorchés effleurer sa joue d'un geste hésitant, écartant une mèche de cheveux errante sur cette peau diaphane et ses petites fossettes. Néanmoins, il remarqua les contours de son corps devenus vaporeux, presque translucides, comme si elle s'effaçait à mesure que le temps défilait.

       Anxieux, il déposa délicatement deux doigts contre sa carotide : les pulsations de son cœur demeuraient bien présentes et surtout, il la sentait. Elle restait réelle. Toutefois, depuis leur sortie du Yomi, Aki n'avait pas montré le moindre signe de conscience. Pourquoi ne se réveillait-elle pas ?

       « Vous n'avez là que son âme. Elle doit regagner son enveloppe charnelle pour continuer son existence. »

       Akina n'était donc pas encore « complète » ?

       Une fois en sécurité dans leur voiture, Mikey s'était empressé d'informer Shin'ichirō des paroles d'Enma. Il avait presque agressé son frère afin que Wakasa, ou n'importe qui à Tokyo, empêche la crémation du corps d'Aki le temps qu'ils reviennent.

       Préoccupé, Mikey caressa ses cheveux noirs avant de se redresser en grimaçant, courbaturé par ce lit de fortune improvisé, composé de leurs sacs et d'une couverture à même le sol du véhicule. Dans le rétroviseur, il croisa alors les billes noires de son frère tandis que le tumulte de la ville résonnait plus distinctement.

— On va bientôt arriver, l'informa-t-il en constatant son éveil.

— Est-ce qu'on est dans les temps ?

       Shin'ichirō passa une vitesse, les mains crispées sur le volant.

— Pas vraiment. La veillée est terminée. Wakasa s'est enfermé dans la pièce où ils ont placé Jade. Des gens de sa famille ont appelé la police pour le faire sortir.

       Mikey serra doucement la main d'Aki comme pour lui assurer qu'il n'échouerait pas. Pas cette fois. Pas si près du but.

— Comment on va entrer ? questionna-t-il.

— ... Je vais prétexter vouloir parler à Wakasa pour lui remettre les idées en place. Après, nous n'aurons pas le choix... Il faudra faire sortir Jade et nous rendre au dojo afin d'utiliser le luo pan.

       Le blond acquiesça, puis laissa sa tête choir contre la fenêtre à travers laquelle son regard vagabonda librement. Peu à peu, les rues familières du quartier d'Akina se dessinèrent, jusqu'à ce qu'ils ne s'arrêtent non loin de son appartement, où la veillée se déroulait. Devant, Mikey reconnut quelques motos stationnées : celles de Manaka et Inupi, ainsi que celle de Takeomi. Soucieux, Shin'ichirō consulta son téléphone avant de se tourner vers son frère.

— Wakasa se trouve dans le salon. Il y a une fenêtre, tu pourras passer par là avec Jade... Attends mon signal, ok ?

       Mikey approuva d'un mouvement de tête, puis le regarda sortir de la voiture et se diriger vers l'habitation avant de disparaître à l'intérieur. La gorge nouée, il reporta son attention sur Akina, toujours plongée dans son profond sommeil. Avec une infinie précaution, il l'enveloppa dans la couverture et la hissa sur ses genoux, gardant un œil vigilant sur les fenêtres de la maison, prêt à courir rejoindre son frère.