71 - Orateur du silence

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       Pourquoi depuis ce jour-là, je ressens une ombre indéfinissable autour de mon existence ? Un voile sur une partie de ma mémoire ? Un oubli inextinguible et dérangeant, comme si quelque chose — quelqu'un — avait été arraché de force de mon cœur ?

       Akina ouvrit les yeux, en sueur.

       Elle avait la sensation d'avoir chuté dans un abîme sans fin avant d'atterrir ici... au beau milieu de ce parc mal famé où elle, Wakasa et Benkei venaient de croiser Hebiike et un autre gang, inconnu au bataillon. Rattrapée par ce vertige familier, Akina s'appuya contre le muret le plus proche, soutenant sa tête d'une main tremblante. Manjirō venait de remonter le temps... jusqu'à quand ?

       Prise d'un élan de lucidité, elle fouilla précipitamment dans sa poche et en tira son téléphone. Ses doigts glissèrent sur le clavier alors qu'elle ouvrait la messagerie et écrivait en vitesse. Les souvenirs affluaient encore dans son esprit, mais pour combien de temps ? À chaque fois, elle n'avait eu que quelques précieuses secondes pour...

       Un coup violent s'abattit brusquement sur sa joue. Désorientée, Akina lâcha son portable et l'entendit heurter le sol dans un bruit inquiétant. Au lieu de riposter, la jeune femme crispa ses mains sur sa tête et se recroquevilla contre le muret, les dents serrées, assaillie par des élancements lancinants dans son crâne. Des sons étouffés et des échos de voix indiscernables volaient autour d'elle, de plus en plus indistincts, de plus en plus lointains. Puis, son esprit sombra quelques secondes, silence suffisant pour effacer les dernières bribes de sa mémoire.

— JADE !

— Man...

       Un coup sourd résonna à proximité de son oreille. Déboussolée, Jade cligna des yeux à plusieurs reprises. C'était comme si elle émergeait d'un profond sommeil. Pourtant, le crépuscule venait à peine d'étendre son voile sur les lieux.

— Oh, qu'est-ce qui t'a pris ? gueula Wakasa. Tu l'as pas vu venir ou quoi ? Hey, ça va pas ?

       Lorsque Jade tourna la tête au contact de sa main sur son épaule et qu'elle croisa le regard inquiet de son mentor, elle réalisa le caractère trouble de sa vision. Elle pleurait ?

       La jeune femme s'empressa d'essuyer ses paupières imprégnées de larmes d'une main maladroite, puis retira son demi-masque afin d'inspirer l'air frais du soir, déconcertée par sa réaction vive pour un simple coup de poing. Pour une raison qu'elle ignorait, une intense tristesse piquait ses yeux et son cœur. Une sensation si poignante qu'elle ne l'avait connu qu'une seule fois dans sa vie : à la mort de son père, il y a maintenant bien trop d'années. Pourquoi ?

— T'as pris un mauvais coup, constata Wakasa. Pourquoi t'étais sur ton portable ? Il s'est passé quelque chose ?

Mon portable ?

Jade chercha le fautif des yeux. Le téléphone gisait non loin, l'écran éclaté par l'impact de sa chute. Face à son apathie, Wakasa s'éloigna récupérer l'appareil et le lui tendit.

— Il n'est peut-être pas foutu si ce n'est que l'écran, annonça-t-il d'un ton neutre. Hey, ressaisis-toi... On était en pleine baston, là. J'te ramène chez nous après, mais il faut que tu mettes les points sur les I avec Hebiike et le Yotsuya Kaidan. Benkei a reconnu leur uniforme.

IzanamiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant