72 - Songes bienheureux

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— Akina.

       À ce nom, mes yeux s'ouvrirent au milieu de cette prairie fleurie. Le soleil illuminait l'espace d'une clarté irréelle sans pour autant m'éblouir. Je me redressai et sentis sous mes mains l'herbe fraîche encore imprégnée de la rosée du matin, puis un tissu glissa de mes épaules. 

       Hagard, je cherchai cette voix qui venait de résonner. Un sursaut me saisit à la vue de cette silhouette assise à mes côtés, légèrement en retrait. Je plissai les yeux, mais impossible de distinguer son visage. Pourtant, il était juste là, tout près. L'ombre échappa un rire cristallin, dont la bienveillance traversa mon épiderme d'une onde chaleureuse.

— Pour une fois que je suis réveillé avant toi !

       J'esquissai un demi-sourire avant de me frotter les yeux dans l'espoir d'y voir plus clair, mais je devais me faire une raison : il y avait comme un filtre, une brume un peu étrange, là pour brouiller les traits de cette personne. Une censure de mon esprit.

— Alors, tu vois que t'as bien dormi ! Partante pour la nuit à la belle étoile ce soir ?! s'enthousiasma l'ombre.

       Que répondre ? Je ne savais pas de quoi il me parlait. Aussi, je me contentai d'acquiescer de la tête, puis une étreinte familière m'offrit sa protection. Son nez froid provoqua quelques frissons sur ma peau au moment où il se nicha contre mon cou, où il s'était réfugié pour s'abriter du monde qui nous attendait.

— Les autres doivent être rentrés. J'suis sûr que Chifuyu t'a harcelé de messages.

— Certainement.

       Lovée entre ses bras, à l'abri du moindre tourment, j'observai la prairie briller d'une lueur enchanteresse. Un paysage digne d'un conte de fée ou bien d'un rêve.

— ... Manjirō ?

       Le jeune homme relâcha son étreinte pour planter ce que je devinais comme étant son regard dans mes yeux. J'entendis ma propre voix tressaillir :

— Est-ce que tu es réel ?

       L'ombre haussa les épaules.

— On est dans ta tête, c'est toi qui vois.

— Oui, mais j'ai comme une impression de déjà-vu. Comme si ce moment avait vraiment existé.

— Qui sait ? Ce serait chouette, non ?

       À nouveau, j'approuvai en silence. Plusieurs secondes s'écoulèrent, plusieurs battements où seul le murmure du vent dans les arbres, le chant des oiseaux et le fracas distant des vagues sur la côte, brisaient notre silence confortable. Puis, Manjirō se rapprocha et posa son front contre le mien, réduisant à néant l'écart entre nous. Sa main monta jusqu'à ma nuque, ce geste si commun à nos passés confondus.

— Un jour, tu comprendras le sens de ma vie.

       La lumière s'intensifia doucement, engloutissant peu à peu les couleurs chatoyantes de la prairie. Chaque brin d'herbe semblait se dissoudre à mesure de l'avancée de cette lueur. C'est alors que mon regard croisa ses iris noirs qui me souriaient avec mélancolie.

— Oublie-moi. Ce n'est qu'un rêve après tout.

Je n'avais jamais eu de songes heureux avant cette nuit.




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