Izanami

30 - La fleur du roi

       Après ces confessions, Rin passa la soirée avec sa petite Jade pour lui changer les idées. La demoiselle n'acceptait pas du tout ses sentiments, il était inutile d'essayer de la forcer à ouvrir les yeux pour l'instant.

       Assise sur le rebord de la fenêtre, le portable à proximité, Rin laissait son regard divaguer sur la rue sombre. Si Shin n'abusait pas trop sur la bière, il pourrait ramener Wakasa à la maison.

       Un filet opaque s'échappait de l'énième cigarette entre ses doigts. Elle pensait à Jade. Ce chagrin d'amour qui se profilait et tous ses tracas... C'était sa mère biologique qui aurait dû s'en préoccuper, mais cette femme préférait s'enfoncer dans une spirale sans fin plutôt que s'occuper de sa fille, qui aurait bien besoin de sa présence.

       La perte du père de Jade avait été une épreuve difficile pour elle, et Rin ne doutait pas un instant de la douleur qui, aujourd'hui encore, l'habitait. Perdre son mari, le père de sa fille... Ce devait être un sentiment terrible qu'elle espérait ne jamais connaître. Cependant, cette mère oubliait qu'elle n'était pas seule et qu'elle avait encore une raison de s'accrocher dans ce monde : sa fille. L'homme qu'elle avait connu après cette infortune en pensant se reconstruire n'était que le point de départ de sa longue descente aux enfers.

       Camé notoire et criblé de dettes, l'ex beau-père de Jade n'avait pas que des amis. Si bien que peu de temps après sa relation avec cette femme qu'il avait fait plonger dans ses travers, un signalement anonyme les avait menés à la perte de la garde de Jade. Sans ce con, cette gamine aurait sans doute eu une vie bien différente et vécu un deuil plus serein, loin des aléas de la rue, sans la peur au ventre de ne pas savoir où dormir, ni à qui faire confiance.

       Sa mère était pourtant au courant de son passage dans la rue. Le foyer duquel elle s'était enfuie avec Manaka avait signalé leur disparition. Jade ne lui avait jamais confié si sa mère s'était inquiétée pour elle. Heureusement, sa rencontre avec Wakasa lui avait permis de remonter la pente. Les combattants du dojo s'étaient, eux aussi, petit à petit, pris d'affection pour elle. Non seulement, cette gamine avait, déjà à l'époque, une répartie sidérante pour son âge, mais elle excellait aussi lors des entraînements. En peu de temps, Jade était devenue la coqueluche du dojo, tant et si bien qu'un des gars avait proposé de l'héberger avec son amie dans le garage qu'il avait réaménagé, non loin de chez Wakasa. Et au fil du temps, Jade avait réapprit à faire confiance.

       Rin, devenue entre-temps la petite amie de Wakasa, s'était aussi attachée à Jade. Avec leur soutien, la petite avait repris un semblant de vie normale, puis avait fini par revoir sa mère. Rin ignorait comment elle s'y était prise, mais Jade n'était jamais retournée au foyer. Elle avait dû édulcorer sa vie.

       Rin aimait Jade, c'était indéniable. Tout comme Wakasa, elle l'avait adopté et la considérait comme sa propre fille, même si elle avait peur de placer trop d'attente en elle... Car Rin savait pertinemment que son désir de maternité ne serait jamais entièrement comblé.

       Sa main caressa inconsciemment le bas de son ventre. Le souvenir de ce bébé inconnu serait toujours synonyme de douleur. Il était parti un beau matin alors qu'elle s'apprêtait pour le travail. Les taches de sang sur son jean l'avaient figé d'effroi.

       Puis l'intervention de curetage avait signé la fin de son envie de maternité. Un syndrome d'Asherman. Une chance infime d'arriver à concrétiser une famille.

      Rin s'accouda sur la fenêtre une fois son tabac consumé et murmura :

— J'ai envie que tu rentres, le soûlard.