59 - Plaines de feu

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Toutes les pièces étaient là depuis le début,
mais personne ne savait comment les assembler.

Paul Auster





       Mitsuya déposa dans un silence mortel le dossier d'une urgence absolue quémandé par Mikey. Devant son air absent, ses cernes sombres, sa pâleur à en rendre jaloux les spectres, Mitsuya ne trouva qu'une banale main sur l'épaule en guise de réconfort, lui aussi accablé par ce deuil incommensurable que nul ne voulait affronter.

       Le médecin d'Aki... Sa psychologue... Ces séances sous secret...

       Le Toman était assez grand pour soudoyer quiconque afin d'obtenir n'importe quelle information. À présent, il ne restait plus à Manjirō qu'à affronter l'inexorable vérité.

       Seul dans ce vaste bureau, après de longues minutes à contempler l'enveloppe en papier kraft scellée, posée sous ses yeux, il tendit une main abrupte vers le cachet et ouvrit enfin le dossier d'Akina. À la recherche de réponses, il voulait comprendre cette brutale descente en enfer.

       Stress post-traumatique... Hypnose... Flashs de l'enfance... Avril 2003, les vacances d'été.

       Mère absente. Un homme. Son beau-père. Un geste qui sortait bien trop de l'ordinaire.

       Le début du cauchemar.

Ses mains partout. Son poids. Étouffant. Terrifiant. Inarrêtable. La douleur. Les pleurs. Le silence. Tais-toi. Pas un mot. Secret. C'est notre secret. Interdit. Tu ne dois pas en parler. Sinon, ta mère va mourir comme ton père. À nouveau l'ennui. Un temps infini. Le retour de l'enfer. L'Enfer. La brûlure dans le cœur. Sur la peau. Entre les cuisses. Partout. Silence, c'est secret. Il faut te taire. C'est normal. Tu ne peux pas comprendre. C'est de ta faute. Trop jolie. Ta faute. Traînée. Ses mains sur ses poignets. Sur son corps. Pas ça. JE NE VEUX PAS. Je veux disparaître. Oublier. Oublier. Oublier. Tais-toi, laisse-toi faire. Bouge pas ou je te tue. Laisse-moi mourir. Pas un mot, hein ? Tu gardes le secret surtout, c'est notre petit truc à nous.

       La réponse était sous tes yeux, mais surtout au cœur des siens.









       Cette nuit-là, avant le drame, Akina lut avec peine le cadran dans le salon. Minuit passé, il ne rentrerait pas.

— Akina... Rien n'est insurmontable, croyez-moi. Ça va être dur, je le sais. Mais croyez moi, on s'en sort toujours. Je ferai tout pour que ce soit aussi votre cas.

       Akina prit sa tête entre ses mains et ses doigts se crispèrent sur son cuir chevelu. Depuis toujours, elle possédait ces chaînes aux poignets ; prisonnière du passé.

       Désormais, sans relâche, cette série d'épisodes d'antan l'attaquait.

       Le pull jaune moutarde. La lourdeur de son corps. Ses doigts prêts à lui briser les poignets. L'intolérable douleur. Les sanglots aphones.

       L'anamnèse tentait de l'enterrer vivante. Ensevelie par ces fragments obscurs ressurgissant des tréfonds de son passé, Akina s'écroulait. Toute une montagne de terre gangrenée, dissimulée par l'anesthésie de sa mémoire, dégringolait en cascade. Plus de lumière, pas la moindre escapade.

— Ne me touche pas !!

       Akina se recroquevilla dans un coin du salon, assaillie par cette colonisation de souvenirs. La souffrance l'engluait. Le fantôme de l'enfant terrifiée qu'elle fut ressurgissait auprès de l'adulte fracturée. La terreur dominait. Le corps et l'esprit explosaient.

IzanamiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant