68 - Yomi

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       La voiture de Shin'ichirō s'arrêta à l'orée d'une imposante forêt, non loin du sanctuaire Iya dédié au dieu Izanagi. Le brun souffla en se frottant la tête.

— On n'ira pas plus loin. Va falloir marcher. Il y a un chemin là-bas... D'après la carte régionale, Yomotsu Hirasaka — l'entrée du Yomi — s'y trouve. C'est sûrement qu'un truc touristique, mais le véritable rocher d'Izanagi doit être dans les parages.

       Le crépuscule teintait l'atmosphère de ses couleurs nocturnes ; les deux hommes avaient roulé toute la journée dans un silence de plomb. Sans plus tarder, Mikey sortit de la voiture, attrapa leurs sacs à dos et s'élança sur le chemin, suivi de près par son frère. Le sentier était tout ce qu'il y avait de plus banal : des arbres, une flopée de végétation, de la mousse sur les écorces, des insectes papillonnant autour d'eux... Rien de bien mystique. Pas la moindre trace un peu étrange pour les mettre sur une piste.

       À mesure qu'ils avançaient, Manjirō commençait à se demander s'il ne s'était pas laissé emporter par cet espoir insensé. Tous ses malheurs n'étaient peut-être qu'un cauchemar ; une fausse réalité née juste pour le faire souffrir. Wakasa avait sans doute eu la réaction la plus raisonnée qui soit en les prenant pour des fous.

       Alors que son allure s'était considérablement ralentie, il sentit une pression familière sur son épaule, le poussant à relever la tête. Shin'ichirō lui adressa un sourire confiant, une esquisse simple, mais rassurante et solaire. Il demeurait bien la seule personne à le raccrocher encore à ce monde devenu si terne...

       D'un geste de tête, le brun indiqua une structure qui se dessinait à travers les arbres.

— Regarde, il y a une sorte de torii.

       Deux colonnes rectangulaires en pierres grises, reliées par une épaisse corde tressée, marquaient l'entrée de quelque chose. Mikey ressentit un frisson désagréable parcourir son échine à cette vision, un frisson qui n'avait rien à voir avec la fraîcheur de la forêt. Maintenant qu'il prêtait plus attention à son environnement, autre chose d'indéfinissable flottait dans l'atmosphère ; une impression troublante qu'il ne parvenait pas à nommer.

       Ils passèrent devant un panneau succinct où le folklore local était évoqué, mentionnant même l'entrée présumée du Yomi dans la région, puis les deux frères franchirent les colonnes et découvrirent un petit espace dégagé, parsemé d'affichages explicatifs. Tout près, deux blocs en pierre de taille humaine, disposés là, ne semblaient obstruer aucune cavité.

       Mikey les observa d'un œil sinistre, sentant la déception monter. Son moral, déjà pas fameux, ne cessait de s'amenuiser. Il se sentait stupide d'avoir pu croire ne serait-ce qu'un instant à ces légendes.

— La véritable entrée ne peut pas se trouver si facilement.

       Shin'ichirō détaillait la carte à leur disposition, convaincu par ses réflexions. Sur la route, il avait beaucoup réfléchi. Son intérêt pour la spiritualité et les mœurs de leur pays l'avait parfois conduit à se laisser happer par la lecture de quelques ouvrages à ce sujet. Si l'entrée du Yomi existait, elle se situait sans doute près de la montagne, dissimulée dans une ouverture à même la roche, voire enfouie, mais certainement pas ici, exposée au regard de tous.

       Démangé par son intuition, Shin'ichirō releva la tête et s'engagea sur le chemin de terre s'enfonçant plus profondément dans les bois.

— Le pied de la montagne se trouve par là-bas, annonça-t-il.

       Mikey soupira sans toutefois prononcer un mot. L'accablement pesait de plus en plus sur ses épaules. Alors qu'il lui emboîtait le pas, sa vision moins claire l'interpella. Était-ce lui ou la nuit était tombée bien plus vite que d'ordinaire ?

IzanamiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant