Sans la faculté d'oublier, notre passé pèserait d'un poids
si lourd sur notre présent que nous n'aurions
pas la force d'aborder un seul instant de plus.Emil Cioran
Quelques jours plus tôt, lorsqu'Akina vit cet homme débouler dans la librairie, armé de sa voix lente et bancale, et de ses petits yeux noisette, la seule chose qu'elle retint fut ce pull jaune moutarde un peu vieillot, comme un rappel insistant du passé. Puis, elle sentit comme un pic transpercer sa tête.
Une série de flashs.
Des fragments du passé.
À qui appartenaient ces souvenirs ?
— C'est un cadeau pour ma fille, pouvez-vous enlever le prix et me l'emballer, je vous prie ?
La même tonalité. La même fausse douceur dans la voix.
Akina sentit ses mains trembler sur le comptoir, son cœur s'emballer, la sueur perler le long de son échine, de son front, de partout. Puis une lourdeur tétanisante s'abattit sur elle. Une brume noire fantomatique qui scellait ses mouvements, ses pensées, toute rationalité. Parce qu'il fallait continuer à oublier.
— Mademoiselle ?
Aphone.
Le jaune moutarde.
La voix. Autoritaire malgré toute sa suavité. Celle qu'elle pensait ne plus jamais entendre résonner.
— Harada, ça ne va pas ?
Akina sursauta au contact de cette paume sur son épaule. L'homme la dévisageait d'un air hébété, le livre toujours retenu entre ses larges mains.
— Va te reposer dans l'arrière-salle, je m'occupe de Monsieur, continua sa patronne.
Tel un automate, Akina s'y dirigea d'une démarche mécanique, prisonnière d'un corps cotonneux et d'un brouillard opaque devant ses yeux. Assise dans le confortable fauteuil vert bouteille de leur salle de pause, sa jambe tressautait sans qu'elle ne s'en rende compte, accaparée par ces éclats plantés dans son crâne, sanguinolent et lancinant. D'un geste malhabile, elle se frotta la tête dans l'espoir vain de les faire disparaître, mais chaque tentative ne fit que briser et enfoncer un peu plus les pointes dans sa chair. Recroquevillée sur elle-même, Aki tentait de reprendre son souffle et de faire abstraction de cette peur grandissante.
Je veux Manjirō.
Mais Mikey était à son « travail. »
Chifuyu ?
Non. Je veux Manjirō.
— Harada, j'ai appelé ton médecin. Ton fiancé peut t'y amener ?
Pas là. Il n'est pas là.
Akina tournait sa bague en jade entre ses doigts agités. L'impression de vivre dans un rêve — un cauchemar — éveillé. Pourquoi imaginait-elle des choses pareilles ?
— Hm. Votre tension est faible. Vous avez pu manger, aujourd'hui ?
Akina hocha la tête, la jambe toujours montée sur ressort. Son médecin retira le tensiomètre avec délicatesse avant de prendre note, puis de consulter les dernières lignes de son dossier.
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Izanami
Fanfiction[TERMINÉE] « M'aimes-tu assez pour que je sois faible avec toi ? » À l'aube d'un conflit fratricide, le Toman doit répondre à un dilemme : s'allier avec le puissant gang d'Izanami ou risquer l'anéantissement. Derrière ce nom énigmatique se cache l'A...